Samuel Taylor Coleridge

«Koubla Khan»

Angleterre   1816

Genre de texte
poème

Contexte
Ceci est le texte intégral du poème de Coleridge. Dans la «Péface» de 1816, Coleridge affirme avoir basé le poème sur une vision qu’il a eue dans un rêve : «Pendant l’été de l’an 1797, l’auteur, alors en mauvaise santé, s’était retiré dans une ferme isolée sise entre Porlock et Linton, dans la région d’Exmoor, à la limite des comtés de Devon et de Somerset. Par suite d’une légère indisposition, un calmant lui avait été prescrit, qui le fit s’endormir dans son fauteuil à l’instant où il lisait, dans le Pèlerinage de Purchas, la phrase suivante :
«C’est là que le Khan Koubla fit bâtir un palais, attenant un jardin splendide. Et ainsi dix miles carrés de fertiles terres furent enclos d’un mur».

L’auteur resta plongé durant près de trois heures dans un profond sommeil, tout au moins en ce qui concerne les perceptions externes, et il est intimement persuadé que, durant ce temps, il dut composer pas moins de deux à trois cents vers : si, à vrai dire, on peut appeler «composer» le fait de voir les images se lever devant soi comme des objets réels, et produire automatiquement les expressions correspondantes, sans aucune sensation ni conscience d’effort» (Samuel Taylor Coleridge : Poèmes, trad. Christian la Cassagnère 269-271). Ayant été interrompu par un visiteur pendant qu’il transcrivait la vision, Coleridge n’a jamais pu donner qu’un fragment de ce qu’il avait rêvé.

Texte original

Texte témoin
«Koubla Khan : ou la vision d’un songe (Poème inachevé)», Samuel Taylor Coleridge : Poèmes , Paris: Aubier-Flammarion, 1975. p.275-277.Traduit de l’anglais par Christian la Cassagnère.

Édition originale
Selected Poetry and Prose of Coleridge, New York: Random House, 1951, p. 44-45.




Koubla Khan

Xanadu

En Xanadu donc Koubla Khan
Se fit édifier un fastueux palais:
Là où le fleuve Alphée, aux eaux sacrées, allait,
Par de sombres abîmes à l’homme insondables,
Se précipiter dans une mer sans soleil.
Plus de vingt mille hectares de fertiles terres
Furent ainsi de tours et de hauts murs enclos:
Et c’étaient, irisés de sinueux ruisseaux,
Des jardins où croissait l’arbre porteur d’encens;
Et c’étaient des forêts de l’âge des collines,
De verdure encerclant les taches du soleil.

Voyez ! ce romantique et profond gouffre, ouvert
Au flanc du vert coteau, sous l’ombrage des cèdres!
Lieu sauvage ! le plus riche en enchantements
Qui jamais sous la lune en déclin fut hanté
Par femme lamentant pour le démon qu’elle aime!
Et de ce gouffre, avec un bouillonnant tumulte,
Comme si, lourdement, la terre haletait,
Par instants jaillissait, puissante, une fontaine :
Et, dans l’explosion du flot intermittent,
D’énormes rocs sautaient, rebondissante grêle,
Tel le grain sous les coups du fléau du batteur;
Et, parmi l’incessant fracas des rocs dansants,
Par instants jaillissait la rivière sacrée.
Sur cinq miles traçant de fantasques méandres
À travers bois et val se lançait l’eau sacrée
Qui, gagnant les abîmes à l’homme insondables,
En tumulte sombrait vers un océan mort;
Et Koubla entendit, au loin, dans ce tumulte,
De ses aïeux les voix prophétisant la guerre!
Du palais de plaisance l’ombre
Au milieu du courant sur les vagues flottait;
Là où l’on entendait les rumeurs confondues
De la fontaine et des abîmes.
Oui, c’était un miracle d’un rare dessein,
Ce palais au soleil sur l’abîme glacé!

La Demoiselle au Tympanon,
En songe, une fois, m’apparut:
C’était une vierge abyssine
Qui de son tympanon jouait
En chantant le Mont Abora.
Si, en moi, je pouvais revivre
Sa symphonie et sa chanson,
Je serais ravi en délices si profonds
Qu’avec musique grave et longue,
Certes, je bâtirais, dans les airs de ce palais:
Ce palais au soleil! ces abîmes de glace!
Alors tous ceux qui entendraient là les verraient,
Et tous de s’écrier: Arrière! arrière! arrière!
Ses yeux étincelants, ses longs cheveux flottants!
Trois fois, tissez un cercle autour de celui-ci,
Fermez les yeux, frappés d’une terreur sacrée:
Car il s’est nourri de miellée,
Et il a bu le lait, le lait de Paradis.

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