John Keats

«La Chute d’Hypérion: Un rêve»

Angleterre   1856

Genre de texte
poème

Contexte
Il s’agit de l’incipit de «La Chute d’Hypérion : Un rêve» de John Keats. Le poème contient trois rêves, chacun enchâssé dans l’autre. Le narrateur commence par une méditation générale sur la différence entre les rêves d’un poète et ceux d’un fanatique (traduit ici comme «fou de Dieu»). Keats développe ainsi les idées déjà exposées dans son texte sur «Le Sommeil et la poésie». Après l’introduction, le narrateur rêve d’un jardin édénique. Dans cette retraite ombragée, le narrateur boit un liquide ambrosiaque. Il s’endort et rêve de la prêtresse Moneta. Moneta lui donne accès à un autre rêve, dans lequel le narrateur fait la connaissance des dieux titans déchus dans «la tristesse ombreuse d'un vallon» (vers 294). Le poème mêle les allusions bibliques et mythologiques, et se termine par une image du titan Hypérion, le père du soleil, qui brille à travers une retraite ombragée édénique. La forme est cyclique, revenant à la fin au rêve édénique du début, mais avec des variations.

Texte original

Texte témoin
Poèmes. Présentation, traduction et notes par Robert Ellrodt, Paris: Imprimerie nationale Éditions, 2000, p. 441-443.

Édition critique
The Poetical Works of John Keats, Toronto: Oxford UP, 1939, p. 505.




Vision

Un paradis

Les fous de Dieu à partir de leurs rêves tissent
Un paradis pour leur secte; le sauvage aussi,
Des plus nobles images tirées de son sommeil,
Se façonne son Ciel. Quel dommage qu’ils n’aient
Sur le vélin ou sur la feuille de la forêt indienne
Laissé la trace au moins d’un mélodieux discours!
Ils vivent, songent, meurent, sans cueillir de lauriers
Car la Poésie seule peut exprimer ses rêves
Peut seule, par la beauté des mots, préserver
L’imagination des charmes qui l’enténèbrent
Et des muets enchantements. Quel vivant pourrait dire :
«Tu n’es pas un Poète, tu ne peux conter tes rêves»?
Car tout homme dont l’âme n’est pas argile inerte
A des visions qu’il dirait, s’il avait l’amour
Et la pleine maîtrise de sa langue natale.
Si le rêve qu’ici j’ai propos de narrer
Est rêve de poète ou d’exalté, on le saura
Quand cette tiède main, mon scribe, sera froide en la tombe.
Je pensais être où des arbres de toute espèce,
Chênes, myrtes, palmiers, hêtres et sycomores,
Bananiers, essences balsamiques, formaient un écran
Aux abords de sources (d’après le murmure d’averse
Qui flattait mes oreilles) et (d’après les senteurs
Qui m’effleuraient) non loin de roses. Me retournant,
Je vis une tonnelle ; retombant de son toit,
Des vignes en treillis, des clochettes, des fleurs plus grandes,
Légères, oscillaient comme des encensoirs.
Devant la porte ornée de guirlandes, sur un tertre
De mousse, s’étalait un festin de fruits d’été,
Qui, vu d’un peu plus près, évoquait les reliefs
D’un repas goûté par les anges ou par notre mère Ève.

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