Jeanne-Marie Guyon

La vie de Mme Guyon écrite par elle-même

France   1700

Genre de texte

Contexte
Jeanne-Marie Guyon (1648-1717) a été une des figures principales du quiétisme.

Notes
(a) Is., ii, V. 6.
(b) Cant. 3, v. 4.

Texte témoin
La vie de Madame J.M.B. de La Mothe-Guyon, écrite par elle-même..., qui contient toutes les expériences de la vie intérieure, depuis ses commencements jusqu'à la plus haute consommation, avec toutes les directions relatives. (Cet ouvrage en 3 volumes est une compilation de divers écrits). Paris, Les libraires associés, 1791, tome II, chap. 16, p. 178-79.




Un songe décisif

Noces mystiques

Notre Seigneur me fit connaître en songe qu’il m’appelloit pour aider au prochain. De tous les songes mistérieux que j’ai eus, il n’y en a eu aucun qui m’ait fait plus d’impression que celui là, & dont l’onction de la grace ait duré plus longtems. Il me sembla, qu’étant avec une autre personne de mes amies, nous montions une grande montagne, au bas de laquelle il y avoit une mer orageuse & remplie d’écueils laquelle il falloit avoir traversée avant que de venir à la montagne qui étoit toute couverte de ciprès. Lorsque nous l’eûmes montée nous trouvâmes à son sommet une autre montagne environnée de haies, & qui avoit une porte fermant à clef. Nous y frappâmes, mais ma compagne redescendit ou demeura à la porte; car elle n’entra point avec moi. Le Maitre me vint ouvrir la porte, qui fut refermée à l’instant. Le Maître qui n’étoit autre que l’Epoux, qui m’aiant pris par la main, me mena dans le bois, qui étoit de cédres. Cette montagne s’appeloit le mont Liban. Il y avoit dans ce bois une chambre, où 1’Epoux me mena, & dans cette chambre deux lits. Je lui demandois, pour qui étoient ces deux lits : il me répondit; il y en a un pour ma Mere, & l’autre pour vous, mon Epouse. Il y avoit dans cette chambre des animaux farouches de leur nature, & opposés, qui vivoient ensemble d’une maniere admirable: le chat se jouoit avec l’oiseau, & il y avoit des faisans qui me venoient caresser: le loup & l’agneau vivoient ensemble. Je me souvins de cette prophétie (a) d’Isaie & de la chambre dont il est parlé, dans (b) le Cantique. Ce lieu ne respiroit que candeur & innocence. J’apperçus dans cette chambre un jeune garçon d’environ douze ans. L’Epoux lui dit, d’aller voir s’il n’y avoit personne de retour du naufrage. Il ne servoit que pour aller au bas de la montagne afin de découvrir s’il verroit quelqu’un. L’Epoux me dit se retournant vers moi ; je vous ai choisie, mon Epouse, pour retirer ici auprès de vous toutes les personnes qui auront assez de cœur pour passer cette mer effroyable, & y faire naufrage. Le petit garçon vint dire qu’il ne voyoit encore personne qui fût revenu du naufrage. Je m’éveillai là dessus si pénétrée de ce songe que l’onction m’en demeura plusieurs jours.

Page d'accueil

- +