Julien Green

Journal

France   1943

Genre de texte
Journal intime

Contexte
Le rêve est raconté à l’entrée datée du 23 septembre 1943.

Texte témoin
Journal, Paris, Plon, 1969, vol. 1: 1928-1949, p. 578.




Un criminel en fuite

Des tableaux

Cette nuit, un rêve à la fois sinistre et magnifique dont j’ai cherché en vain à me souvenir. Il m’en revient toutefois ceci : un homme (moi-même, peut-être), pour cacher un crime qu’il a commis, est contraint d’en commettre un autre, et pour cacher celui-là, d’en commettre un troisième. Suit une longue série de tableaux qui paraissaient sortir les uns des autres, à la manière des différentes pièces d’une longue-vue qu’on allonge en tirant dessus. L’homme fuyait d’un théâtre, puis on le voyait sur les toits, ensuite dans une église protestante, enfin il arrivait dans une rue paisible au caractère un peu provincial avec des arbres au-dessus d’un long mur blanc; et quelqu’un disait tout haut : «Ce serait une grave erreur s’il prenait la rue d’Aboukir.» Or c’était la rue d’Aboukir et l’homme la prenait (elle était bien différente de celle que nous connaissons). On pressentait, à ce moment, que quelque chose d’épouvantable allait se produire, et il arrivait simplement qu’un mendiant offrait au fugitif un document sur lequel se voyait un timbre-poste, en disant qu’il l’avait reçu du couvent, mais ce geste et ces paroles qui paraissaient tellement simples prenaient dans ce rêve un caractère tragique, fatal, étaient pleins d’allusions à des événements très connus des intéressés. Ce que je ne puis rendre, c’est l’impression d’horreur que me firent cette phrase et la vue de ce papier. Je note pour mémoire que le mendiant n’était autre que le sinistre B…

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