Marcel Proust
Du côté de chez Swann Genre de texte Contexte Texte témoin
Roman
Passionné de peinture, Swann devrait aller à La Haye pour y étudier les tableaux de Vermeer et rédiger enfin un livre auquel il travaille depuis longtemps. Mais il renonce à cette idée parce que cela l’éloignerait d’Odette, sa maîtresse.
À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, collection «Quarto», 1999, p. 284.
Angoisse d’un départ en train
Mais quitter Paris pendant qu’Odette y était et même quand elle était absente – car dans des lieux nouveaux où les sensations ne sont pas amorties par l’habitude, on retrempe, on ranime une douleur — c’était pour lui un projet si cruel qu’il ne semblait capable d’y penser sans cesse que parce qu’il se savait résolu à ne l’exécuter jamais. Mais il arrivait qu’en dormant l’intention du voyage renaissait en lui — sans qu’il se rappelât que ce voyage était impossible — et elle s’y réalisait. Un jour il rêva qu’il partait pour un an; penché à la portière du wagon vers un jeune homme qui sur le quai lui disait adieu en pleurant, Swann cherchait à le convaincre de partir avec lui. Le train s’ébranlant, l’anxiété le réveilla, il se rappela qu’il ne partait pas, qu’il verrait Odette ce soir-là , le lendemain et presque chaque jour. Alors, encore tout ému de ce rêve, il bénit les circonstances particulières qui le rendaient indépendant, grâce auxquelles il pouvait rester près d’Odette, et aussi réussir à ce qu’elle lui permît de le voir quelquefois.