Honoré de Mirabeau

Lettres écrites du donjon

France   1780

Genre de texte
correspondance

Contexte
Pendant les quatre ans qu’il est emprisonné dans le donjon de Vincennes, Mirabeau écrit à sa maîtresse Sophie de Monnier, elle-même enfermée dans un couvent. Il lui raconte ici un songe dans lequel il revit leur première nuit d’amour.

Texte témoin
Paris, Garnery. Strasbourg, Treuttel. Londres, De Boffe. 1792, p. 60-61.




Rêves de Mirabeau 1

Il la voit dans ses rêves

à Sophie.
Mon amie, guide-toi toujours suivant les circonstances; sois réservée, prudente, mais active, et sois en garde contre ton coeur, trop fécond en confiance, en bonté, et fautif en pressentimens. Autrefois je croyais aux miens, et m’en suis bien corrigé; cependant le 31 juillet m’a un peu raccommodé avec eux; car, au premier mot que me dit Berard, je pensai involontairement à P, et j’étais persuadé au fond de mon coeur que je l’allais voir, quoique convaincu par la réflexion que je n’avais aucune raison de l’espérer. Les songes m’affectent à présent, et je n’avais jamais éprouvé cette faiblesse. Je sais que le cours fortuit des esprits animaux réveille au hasard, pendant le sommeil, les idées qui ont le plus fortement préoccupé l’ame pendant le jour; mais cela ne satisfait que ma raison, et le sentiment reste vainqueur. Il me semble impossible qu’il n’y ait pas entre nous une espèce d’attraction invisible qui nous avertisse réciproquement de ce qui nous intéresse relativement aux sentimens l’un de l’autre. Depuis que j’ai reçu tes lettres, mes rêves sont plus heureux, et souvent ils sont délicieux; mais auparavant, j’en ai eu, un sur-tout, qui me fit fuir de mon lit, tant j’avais de crainte de le trouver. Maintenant chaque nuit me rappelle quelques-uns des événemens passés de nos amours; souvent l’illusion est si forte, que je t’entends, je te vois, je te touche. Il y a trois jours que j’étais chez la Barbaud; le jour même où tu consentis à me rendre heureux. Tout se retraça, ou plutôt se répéta à moi jusqu’aux plus petits détails. -ô dieux! Je frissonne encore d’amour et de volupté, quand j’y pense. Ta tête appuyée sur mes bras... ton beau cou, ton sein d’albâtre... livré à mes brûlans desirs : ma main, mon heureuse main ose s’égarer : je soulève ces remparts redoutables dont tu m’avais toujours écarté avec tant de soin... tes beaux yeux se ferment... tu palpites, tu frémis... Sophie... oserai-je? ô mon amie! Veux-tu faire mon bonheur? -tu ne réponds rien... tu caches ton visage dans mon sein... la volupté t’enivre, et la pudeur te tourmente... mes desirs me consument; j’expire... je renais... je te soulève dans mes bras... inutiles efforts! ... le parquet se dérobe à mes pieds... je dévore tes charmes et n’en puis jouir... l’amour rendait la victoire plus difficile pour en augmenter le prix. Ah! Ces obstacles étaient bien inutiles... d’importuns voisins m’ôtaient toutes les ressources... quels momens! Quelles delices! Que de contrainte! Que de transports étouffés! Que de demi-jouissances cueillies! -eh bien, mon amante, j’ai revu, j’ai éprouvé de nouveau tout cela; je t’appuyais contre ce lit, qui depuis fut le témoin de mon triomphe et de ma félicité... je te pressais sur ces chaises où tout m’offrait d’invincibles résistances; car quel genre de beautés ne réunis-tu pas? ... enfin, je me réveillai d’agitation et de trouble; et je m’aperçus jusqu’où avait été mon délire... es-tu quelquefois aussi heureuse, ô chère amante! Tes rêves semblent-ils réaliser mon amour? Sens-tu mes caresses, me prodigues-tu les tiennes? Tes baisers de feu animent-ils un peu l’inséparable? ô fanfan, tu me dis que tu rêves, et tu ne me dis pas ce que tu rêves! Ne me dois-tu pas compte de tes nuits comme de tes jours? Ah! Oui, oui sans doute. Elles sont bien plus à moi; elles sont tout à moi, qu’à moi. Raconte-moi donc tes illusions, ô épouse chérie!

Page d'accueil

- +