Anaïs Nin

Journal, 1931-1934

États-Unis   1931

Genre de texte
Journal

Contexte
Ce récit de rêve se trouve à l’entrée du 30 décembre 1931. Anaïs Nin, tout en ayant une liaison avec Henry Miller, aurait eu une aventure avec June, sa femme.

Texte original

Texte témoin
Journal, 1931-1934, Paris, Stock, 1969, p. 33-34.

Édition originale
The Diary of Anaïs Nin, 1931-1934, New York, The Swallow Press, 1966, p. 21-22





June

June. La nuit j’ai rêvé d’elle, pas magnifique et rayonnante comme elle est, mais toute petite et frêle et je l’aimais. J’aimais une fragilité, une vulnérabilité dont j’avais le sentiment qu’elle se déguisait sous son orgueil monstrueux, sa volubilité. C’est une fierté blessée. Elle manque d’assurance, elle a un insatiable besoin d’admiration. Elle vit des reflets d’elle-même dans les yeux des autres. Elle n’ose être elle-même. Il n’y a pas de June que l’on puisse saisir et connaître. Elle le sait. Plus elle est aimée, plus elle le sait. Elle sait qu’il y a une très belle femme qui s’est mise hier soir à la portée de mon inexpérience et a dissimulé l’étendue de son savoir.
Le visage prodigieusement blanc tandis qu’elle disparaissait dans l’obscurité du jardin, elle jouait pour moi un personnage en partant. Je voulais m’élancer et embrasser sa beauté fantastique et m’écrier : «June, vous avez tué ma sincérité aussi. Jamais plus je ne saurai qui je suis, ce que je suis, ce que j’aime, ce que je veux. Votre beauté m’a inondée, jusqu’au tréfonds de moi-même. Vous emportez avec vous une part de moi-même reflétée en vous. Lorsque votre beauté m’a frappée, elle m’a dissoute. Au fond, je ne suis pas différente de vous. J’ai rêvé de vous, j’ai souhaité votre existence. Vous êtes la femme que je veux être. Je vois en vous cette part de moi qui est vous. J’éprouve de la compassion pour votre orgueil enfantin, pour votre tremblant manque de confiance, votre dramatisation des événements, votre façon d’embellir les amours qui vous sont offerts. Je renonce à ma sincérité, car si je vous aime cela veut dire que nous partageons les mêmes fantaisies, les mêmes folies.»

Page d'accueil

- +