Timothy Findley

Pilgrim

Canada   1999

Genre de texte
roman

Contexte
L’extrait se situe dans le livre quatre, au chapitre douze. Ce rêve est précédé par quelques autres (fiche 1732)

Pilgrim prévoit deux événements dans ce rêve : sa mort par noyade, et l’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale (il fait son rêve trois ans avant l’éclatement de la guerre).

Pilgrim suit un traitement avec Carl Jung dans une clinique psychiatrique à Zurich, mais il rejette toutes les théories jungiennes et désire tout simplement mourir. Il prétend être immortel et a tenté plusieurs fois de se suicider.

Il est suggéré à la fin du roman que Pilgrim réussit finalement son suicide en se noyant dans la Loire.

Texte original

Texte témoin
Pilgrim, trad. Isabelle Maillet, Paris : Le Serpent Ă  Plumes, 2000, p. 362-363.

Pilgrim, Toronto: HarperCollins, 2004, p. 467-468.

Édition originale
Pilgrim, Toronto: HarperCollins, 1999.




RĂŞve de Pilgrim

Cauchemar de la guerre

Au bout de quinze minutes, il dormait.

Me noie dans la boue. Ne sais pas oĂą je suis.

Il fait sombre, mais pas nuit. Lumière matinale dans le ciel, ai conscience d’un horizon.

Tout est brun, gris, mouillé. Odeur de terre, puanteur accablante. Répugnante, et pourtant, bienvenue. La mort, oui, mais le cœur en paix. Du vert, encore du vert. Et du brun.

Ignore où sont mes pieds. Porte des bottes. Leur poids, ainsi que celui de mes vêtements, m’attire vers le fond. Rien de solide nulle part sous moi. Essaie de nager, mais ne parviens qu’à maintenir tête à la surface. Boue aussi épaisse que du porridge. Explosions de lumière sporadiques, mais lointaines. Pas proches.

Vois les silhouettes d’autres hommes. Tous vêtus comme moi. Nos habits trempés, tombants, confirmant que nous sommes des soldats. Oui, mais quand ? Et où ?

Une horloge sonne. Incapable de compter les coups. J’essaie de crier, mais n’ai plus de voix.

Bruit de portes que l’on ouvre; le mot portail emplit ma tête. P-p-p-p-p-p-portail.

Mes mains tentent d’en atteindre une autre — une main humaine, aux doigts immaculés —, mais elle disparaît.

Me demande pourquoi je suis ici, mais n’obtiens aucune réponse. Ici, c’est nulle part. Le néant.

Tout d’un coup s’élève un bruit que je n’identifie pas immédiatement : un son précipité, monotone, qui rappelle les crachotements d’un moteur d’automobile sans la protection du capot. Un son ouvert, un vrombissement régulier au-dessus de ma tête.

Suivent plusieurs petites déflagrations que je n’identifie pas non plus. Puis un autre son — des cris, également au-dessus de ma tête —, et une ombre mouvante s’abat sur moi, pareille à celle d’un oiseau géant, ensuite de quoi je m’aperçois qu’il y a un aéroplane, et un autre encore.

Je n’ai jamais vu d’aéroplane que sur les photographies, mais il doit y en avoir une dizaine, une douzaine, peut-être plus, qui passent dans le ciel, tirant à mitraille et lâchant des obus qui agrandissent les déchirures de la terre.

Alentour, les silhouettes voûtées des autres hommes s’élancent, me croisent sans me voir, parce qu’ils ne me regardent pas. Tout le monde a peur.

Quelqu’un dit : Je n’ai pas le droit de te voir. Ce sont les seuls mots que j’aie entendus.

Je ferme la bouche. Passe une autre douzaine d’aéroplanes.

Je commence Ă  sombrer.

Mes narines s’emplissent de boue. Je me noie, puis me réveille.

Pilgrim, trempé de sueur, s’assit sur son lit.

Je me noie, puis me réveille.

Des aéroplanes.

Ce dont il venait de faire l’expérience ne pouvait être un rêve du passé; c’était forcément un rêve de l’avenir.

De l’avenir, mon Dieu. Oh, mon Dieu !