Timothy Findley

Pilgrim

Canada   1999

Genre de texte
roman

Contexte
Ce passage, par lequel se termine le roman, se situe dans l’épilogue. La Première Guerre Mondiale a éclaté. Jung est écartelé entre sa femme et sa maîtresse. Il doute de ses théories, a rompu avec Freud et se sent incapable de continuer à exercer la psychiatrie. Il a arrêté d’écrire et a abandonné son journal intime. Même la naissance de sa fille, Emma, lui est un embarras. Finalement, après des mois, Jung recommence à écrire. La même nuit, il rêve de son ancien analysant Pilgrim.

Texte original

Texte témoin
Pilgrim, trad. Isabelle Maillet, Paris : Le Serpent Ă  Plumes, 2000, p. 637.

Pilgrim, Toronto: HarperCollins, 2004, p. 638.

Édition originale
Pilgrim, Toronto: HarperCollins, 1999.




Le dernier rĂŞve de Jung

Une pierre angulaire

Et puis, une nuit, j’ai fait un rêve. Et dans ce rêve, j’ai vu mon vieil ami, Pilgrim, mon Vieil Homme, appuyé contre un pan de mur dont les ruines l’environnaient. Il m’a dit : Ne voulez-vous pas me rejoindre? Au spectacle des ruines, j’ai bien sûr préféré rester dans l’obscurité. Lui, il se tenait au soleil ou au clair de lune — j’en étais certain, sans pour autant parvenir à identifier cette lumière. Et cela ne m’a pas paru important jusqu’au moment où j’ai enfin compris que tout autour de nous s’étendait l’obscurité où je me trouvais moi-même ; par conséquent, c’était certainement le clair de lune qui le nimbait.

Ici, a-t-il dit encore, est l’endroit où tout commence. Je vous en prie, venez voir ce que j’ai à vous offrir.

Je n’ai pas bougé. J’avais peur. Après tout, je le savais mort. Entendait-il par là que tout commence avec la mort ? Je ne pouvais ni ne voulais le croire.

Alors, il dit : Voici ce que je suis prĂŞt Ă  vous donner.

J’osais à peine regarder. Mais je m’y suis enfin résolu et, dans sa main, j’ai découvert qu’il tenait une pierre — une espèce de pierre rouge et carrée. J’avais du mal à déterminer de quoi il s’agissait.

Le vent soufflait.

Le Vieil Homme portait une longue robe claire, évoquant un prophète, Job lui-même, Élie ou peut-être Isaïe, comment savoir ?

Et il a dit : Toute chose est éternelle. Rien ne sera qui n’a déjà été.

Je suis resté immobile, toujours effrayé. Je ne parlais pas.

Le monde, a-t-il dit, s’achève chaque jour, pour renaître le lendemain. Mais pas pour toi, à moins que tu n’acceptes ce cadeau.

Je me suis approché de lui. Il faisait un froid glacial. Il y avait, semblait-il, du verglas partout.

Je vous en prie, a-t-il dit.

J’étais stupéfait. Il me demandait de lui pardonner son éternelle intransigeance, son éternel refus de vivre.

J’ai tendu la main. Et dans ma paume, il a placé une pierre angulaire. Carrée, flamboyante, rougeoyante de vie.

Il n’y en a qu’une, a-t-il dit. Il vous en faudra plus.

Elle semblait brûler dans ma paume. Pourtant, elle ne pesait rien.

C’était seulement une pierre.

Et je me suis demandé : Après tant de commencements, peut-il y en avoir encore un autre ?

Ensuite, je me suis réveillé, et c’était le présent.

Le présent. Le présent, c’est tout ce que nous avons. Le présent, encore et encore, et rien d’autre.