François de Chateaubriand
Génie du christianisme Genre de texte Contexte Texte témoin
traité
Prisonnier des Indiens, Atala fait un rêve et découvre que celui-ci se confond avec la réalité.
Génie du christianisme, ou Beautés de la religion chrétienne. Paris, Impr. Migneret, An XI-1803, p. 204. BNF, Gallica.
Rêve d’évasion
Il est dans les extrêmes plaisirs, un aiguillon, qui nous éveille, comme pour nous avertir de profiter de ce moment rapide; dans les grandes douleurs, au contraire, il y a je ne sais quoi de pesant, qui nous endort; des yeux fatigués parles larmes, cherchent naturellement à se fermer :la bonté de la providence se fait ainsi remarquer, jusques dans nos infortunes. Je cédai, malgré moi, à ce lourd sommeil que goûtent quelquefois les misérables. Je rêvois qu’on m’ôtoit mes chaînes, et je croyois sentir ce soulagement qu’on éprouve, lorsqu’après avoir été fortement pressé, une main secourable relâche nos fers. Cette sensation devint si vive, qu’elle me fit soulever les paupières. à la pâle clarté de la lune, dont un rayon s’échappoit alors entre deux nuages, j’entrevois une grande figure blanche penchée sur moi, et occupée à dénouer silencieusement mes liens. J’allois pousser un cri, lorsqu’une main, que je reconnus à l’instant, me ferma a bouche. Une seule corde restoit, mais il paroissoit impossible de la rompre sans toucher un guerrier, qui la couvroit toute entière de son corps. Atala y porte la main; le guerrier s’éveille à demi, et se dresse sur son séant. Atala reste immobile, et le regarde. L’indien croit que c’est l’esprit des ruines; il se recouche, en fermant les yeux, et en invoquant son manitou : le lien est brisé. Je me lève, je suis ma libératrice. Mais que de dangers nous environnent!