E.T.A. Hoffmann

Contes fantastiques

Allemagne   1815

Genre de texte
Contes

Contexte
Le premier rêve est celui du narrateur et survient au quart du récit. Le narrateur, arrivé à H…, avec l’intention de passer là quelque temps, s’intéresse au mystère de la famille Krespel. Le conseiller Krespel, un personnage extrêmement original et d'une habileté prodigieuse pour construire des violons, défend à sa fille Antonia de chanter. Cela intrigue les habitants du lieu qui ignorent tout des raisons de cette pratique insensée et on évoque la nuit où elle était arrivée accompagnée d'un jeune pianiste, B..., qui s'était enfui au milieu de la nuit après un duo extraordinaire. Le narrateur, qui tentera en vain d'en savoir plus, devra quitter la ville peu après. Lorsqu'il y reviendra deux ans plus tard, il assiste à l'enterrement d'Antonia. Accusant Krespel de l'avoir tuée, il apprend qu'Antonia était la fille de Krespel et qu'elle souffrait d'un défaut de poitrine qui entraînerait sa mort si elle se mettait à chanter. Il y a en effet un lien mortel entre les violons de Krespel et la voix de sa fille ainsi que de sa femme défunte, qui était chanteuse d'opéra à Venise.

Le deuxième rêve est celui du conseiller Krespel et marque la fin du conte. On y retrouve le personnage de B..., le pianiste amoureux d'Antonia, qui s'était enfui de peur de causer la mort de celle-ci.

Notes
Alcine: allusion au Roland furieux d'Arioste.

Commentaires
Le sentiment d'impuissance éprouvé par le conseiller Krespel lorsqu'il croit entendre chanter sa fille est typique du rêve et tient à la paralysie musculaire propre au sommeil paradoxal.

Texte témoin
«Le conseiller Krespel», Les Frères de Saint-Sérapion, tome I, texte français par Madeleine Laval, Paris, Phébus, 1981, p. 76.




Le Conseiller Krespel

La reine du chant

Naturellement je crus, dès cette nuit-là, entendre le chant merveilleux d'Antonia, dans un splendide adagio — que, détail ridicule, je pensais avoir composé moi-même —, elle me conjurait de la manière la plus touchante de la sauver; aussi ma décision fut-elle bientôt prise: je serais un second Astolphe et je pénétrerais dans la demeure de Krespel comme dans le château enchanté d'Alcine, pour délivrer la reine du chant des liens qui la retenaient honteusement prisonnière.

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Peu de temps avant mon arrivée, le conseiller, une nuit, crut entendre jouer sur son piano dans la chambre voisine; il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaître sans erreur possible la façon dont B ... avait l'habitude de préluder. Il voulut se lever, mais il lui sembla qu'un lourd fardeau pesait sur ses épaules; il se sentit retenu comme par des liens de fer qui l'empêchaient de faire le moindre mouvement. Puis la voix d'Antonia s'éleva à son tour; ce furent d'abord des sons légers comme des souffles; prenant de plus en plus d'ampleur, ils montèrent ensuite jusqu'au fortissimo le plus éclatant ; ces accents merveilleux se modulèrent alors en un chant profondément émouvant que B ... avait composé autrefois pour Antonia dans le style pieux des maîtres anciens. Krespel me dit que l'état où il se trouvait était incompréhensible: une peur affreuse s'unissait en lui à un ravissement ineffable et tel qu'il n'en avait encore jamais éprouvé. Soudain, il fut ébloui par une aveuglante clarté qui lui permit d'entrevoir B ... et Antonia se tenant enlacés et se regardant avec extase. Le chant continuait, ainsi que les accords du piano, et pourtant Antonia ne semblait pas chanter, ni B ... toucher le clavier. Le conseiller sombra alors dans une sorte d'évanouissement où vinrent se perdre l'image et les sons. Quand il se réveilla, il ressentait toujours cette terrible peur qu'il avait éprouvée en rêve. Il s'élança dans la chambre d'Antonia. Elle était étendue sur le canapé, les yeux fermés, les mains pieusement jointes ; elle avait une expression souriante et pleine de douceur ; on eût dit qu'elle dormait, rêvant de félicités et d'extases divines. Mais elle était morte !

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