Thomas Pynchon

Vente à la criée du lot 49

États-Unis   1965

Genre de texte
roman

Contexte
Mr Thoth, un personnage secondaire dans le roman, raconte ce rêve à Œdipa Maas, au chapitre 4. À travers le roman, Œdipa la protagoniste suit la piste d’une série de symboles mystérieux qui font peut-être partie d’une conspiration du gouvernement des États-Unis pour supprimer la transmission para-postale de certains types de pensées radicales, ou simplement folles. Œdipa rencontre fréquemment le symbole pour ce service para-postal, W.A.S.T.E. (We Await Silent Trystero’s Empire). Ses efforts pour retracer l’origine d’un marqueur historique qui porte ce symbole l’ont amenée à cette conversation avec M. Thoth.

Comme la plupart des incidents dans le roman, le rêve que raconte M. Thoth si lentement et si indirectement semble renforcer les théories d’ Œdipa en ce qui concerne la longue histoire de W.A.S.T.E. Dans le rêve, les non-Indiens qui attaquent le grand-père de M. Thoth la nuit pourraient faire partie de Trystero, une organisation secrète d’où est sorti le système de livraison postale qu’est W.A.S.T.E.

La vraisemblance du mystère qui se développe dans le roman est intimement liée au fait qu’Œdipa a peut-être fait partie d’une expérience avec des hallucinogènes menée par son psychothérapeute, le docteur Hilarius. Puisque ni elle ni le lecteur ne sait si elle a vraiment été le sujet d’une telle expérience, on ne sait pas non plus si elle a pu imaginer toutes les connections qu’elle établit entre ces différentes pistes au sujet de W.A.S.T.E. À chaque tournant, Pynchon invite le lecteur ou la lectrice à s’interroger sur le bien-fondé de ses hypothèses au sujet des liens entre les différents événements de l’histoire.

Notes
Ce récit de rêve comporte de nombreuses digressions.

Texte original

Texte témoin
Vente à la criée du lot 49. Trad. Michel Doury. Paris : Seuil, 1987, p. 104-105.

Édition originale
The Crying of Lot 49. New York: Perennial Classics, 1999 [1965], p. 74-5.




Rêve de M. Thot

De faux Indiens

Je rêvais, dit M. Thoth. Je rêvais de mon grand-père. Il était très âgé, au moins autant que je le suis moi-même aujourd’hui, quatre-vingt-onze ans. Quand j’étais petit, je croyais que toute sa vie, il avait eu quatre-vingt-onze ans. Maintenant c’est moi, ajouta-t-il en riant, qui ai l’impression d’avoir eu quatre-vingt-onze ans toute ma vie. Ah! les histoires qu’il me racontait. À l’époque de la ruée vers l’or, il avait travaillé pour le Pony Express. Son cheval s’appelait Adolf, je m’en souviens bien.

[…]

— C’était un vieillard cruel, dit M. Thoth, et un tueur d’Indiens. Mon Dieu, la salive lui coulait du menton en un long fil à chaque fois qu’il parlait de ces meurtres d’indiens. Il avait dû adorer ça.

– Et dans votre rêve, de quoi s’agissait-il?

Il eut l’air un peu embarrassé.

– C’était tout mélangé avec le dessin animé de Porky Pig. (Il eut un geste en direction de l’écran.) Cela finit par entrer même dans les rêves. Sale invention. Est-ce que vous avez vu celui de Porky Pig et les anarchistes?

Elle l’avait en effet vu, mais elle répondit que non.

–L’anarchiste est tout en noir. Et dans l’obscurité, on ne voit que ses yeux. Cela date des années trente. Porky Pig est un petit garçon. Les enfants m’ont dit que maintenant il a un neveu, Cicero. Vous vous souvenez, pendant la guerre, quand Porky Pig travaillait dans une usine d’armement? Lui et Bugs Bunny. Ça aussi c’était bon.

– Tout vêtu de noir, dit Œdipa pour le relancer.

– C’était tout mélangé avec les Indiens. (Il essayait de se rappeler le rêve.) Ces Indiens avaient des plumes noires. Des Indiens qui n’étaient pas des Indiens. Mon grand-père m’avait raconté cela. Les plumes étaient blanches, mais ces faux Indiens brûlaient des os et ils se servaient du noir ainsi fabriqué pour teindre leurs plumes en noir. Ainsi, la nuit, ils étaient invisibles, car c’est la nuit qu’ils venaient. C’est ainsi que mon grand-père, Dieu le garde, avait compris que c’étaient de faux Indiens. Les vrais Indiens n’attaquent pas la nuit. Parce qu’un Indien tué la nuit erre pour toujours dans l’obscurité. Des païens.

Page d'accueil

- +