Aki Shimazaki

Wasurenagusa

Canada   2003

Contexte
Il s’agit du rêve de Kenji Takahashi, mari de Mariko. Satoko était sa première femme. Kenji est le seul héritier d’une famille japonaise importante. Comme Satoko et lui n’avaient pas réussi à avoir un enfant après trois ans de mariage, ses parents voulaient qu’il prenne une maîtresse. Il a refusé mais il n’a pas su défendre sa femme contre les attaques de ses parents et elle l’a quitté. Elle s’est remariée et a eu un enfant avec son nouveau mari. C’est comme ça que Kenji a su qu’il était stérile. Lorsqu’il s’est marié avec Mariko, elle avait déjà un fils, Yukio. Comme ses parents n’acceptaient pas le mariage, Kenji a renoncé à son héritage et à ses responsabilités comme héritier. À la fin du roman, il comprendra que la femme et l’enfant dans le canot sont Mariko et Yukio.

Texte témoin
Léméac/Actes Sud, 2003, p. 32-34.




RĂŞve de Kenji

Il revit son divorce

Satoko et moi marchons dans le chemin sur la digue. Devant nous s’étend une immense rivière. L’eau est profonde, le courant rapide. Le vent souffle contre nous.
Elle fredonne, la voix vibrante. Je tiens son épaule. La chaleur de sa peau se propage à travers sa chemise. Je caresse ses longs cheveux noirs. Je baise son front. Les yeux fermés, elle reste immobile. Une odeur de savon. Au moment où nos lèvres se superposent, elle ouvre grand les yeux et dit :
— J’entends une balalaïka.
Je dresse l’oreille. Je n’entends que le bruit du courant. Je dis :
—C’est toi, la balalaïka.
Elle sourit. Je prends sa main et continue Ă  marcher.
J’aperçois un canot quelques mètres plus loin, agité pas les vagues. Il est attaché à un arbre. Il n’y a personne autour. Je me demande qui oserait ramer dans un endroit si dangereux.
Satoko s’exclame :
Regarde, là-bas! C’est beau!
Elle désigne du doigt les petites fleurs bleues sur la rive, entre des roches. L’eau est tout près.
Elle demande :
— Tu peux en cueillir une pour moi?
— Mais non! Si le pied me manque, je serai facilement emporté par le courant.
Elle dit avec un faible sourire :
— Tu as raison.
Quand nous arrivons à un sentier qui mène au bord de l’eau, elle dit brusquement :
— Je te quitte maintenant.
— Me quitter? Où vas-tu?
Elle répond en me fixant :
— J’aimerais divorcer.
«Divorcer?» Je n’en crois pas mes oreilles. Son regard est sérieux. Avant que je ne prononce le mot «Pourquoi?», elle a déjà descendu la digue. Je tente de courir après elle. Pourtant, mes pieds ne bougent pas. Elle se dirige vers le canot que j’ai vu tout à l’heure. Il y a maintenant un homme et un petit garçon assis sur le banc. Ils me jettent un coup d’œil. Je me demande : «Qui sont-ils ?» Je crie à ma femme : «Attends!» Elle m’ignore et monte dans le bateau. Quand elle se retourne un instant, les fleurs bleues qu’elle voulait apparaissent dans ses bras. L’homme se met à ramer contre le courant. Graduellement, ils s’éloignent.

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