Margaret Atwood

The Blind Assassin

Canada   2000

Contexte
Ce rêve survient vers le milieu du roman.

La narratrice vieillissante, Iris Chase Griffen, raconte la véritable histoire de sa vie à l’intention de sa petite-fille Sabrina. L'hiver approche. L’homme dans son rêve est Richard, le mari qu’elle a laissé plusieurs dizaines d’années auparavant après avoir découvert qu’il avait séduit sa jeune sœur Laura. Ce rêve survient au moment de son récit où elle va devoir raconter les circonstances dans lesquelles ce riche industriel avait profité des difficultés que rencontrait son père pour lui demander sa main. Iris, qui avait alors 17 ans, sentira qu'elle n'a pas véritablement le choix si elle aime son père. Mais ce chapitre se termine quelques pages plus loin par le récit de la nuit affreuse qu'elle fera après avoir dit oui à Richard dans le salon Impérial de l'hôtel Royal York de Toronto :
«Je savais que j'étais perdue [...] Il n'y avait pas de plancher à ma chambre: j'étais suspendue dans les airs, sur le point de tomber. Ma chute serait interminable — interminablement vers le bas.»

Texte original

Texte témoin
Le Tueur aveugle. Traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch. Paris : Robert Laffont, 2002, p. 251 (modifications par Christian Vandendorpe).

Édition originale
The Blind Assassin. Toronto : McClelland & Stewart, 2000, p. 222.




Rêve d’Iris (2)

Couverte de poils

La nuit dernière, j’ai rêvé que j’avais les jambes couvertes de poils. Pas un peu, énormément — des touffes, des mèches de poils noirs surgissaient sous mes yeux et s’étalaient sur mes cuisses comme une fourrure animale. L’hiver arrivait, rêvais-je, et donc j’allais hiberner. J’allais commencer par avoir de la fourrure, puis je me glisserais dans une grotte et après je m’endormirais. Tout cela me paraissait normal, comme si je l’avais déjà vécu. Puis je me rappelais, même dans mon rêve, que je n’avais jamais été très poilue et que j’étais désormais lisse comme la main, ou du moins que mes jambes l’étaient; donc, même si elles avaient l’air de se rattacher à mon corps, ces jambes poilues ne pouvaient pas être les miennes. Et puis, elles n’avaient plus aucune sensibilité. C’étaient les jambes de quelque chose ou de quelqu’un d’autre. Tout ce que j’avais à faire, c’était suivre ces jambes, passer la main dessus pour découvrir ce que c’était ou qui c’était.

L’inquiétude qui s’attachait à tout ça me réveilla, ou je le crus. Je rêvais que Richard était revenu. Je pouvais l'entendre respirer dans le lit à côté de moi. Pourtant, il n’y avait personne.

Je me réveillai alors dans la réalité. J’avais les jambes engourdies : j’avais pris une mauvais position dans mon sommeil. Je tâtonnais à la recherche de la lampe de chevet, décodais ma montre: il était deux heures du matin. Mon cœur cognait douloureusement, comme si je venais de courir. C'est vrai, me suis-je dit, ce qu'on racontait alors. Un cauchemar peut vous tuer.

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