Margaret Atwood

The Blind Assassin

Canada   2000

Contexte
Ce rêve ouvre le chapitre intitulé «Xanadu» dans la partie VII, passé la moitié du livre.

Iris, qui a alors 80 ans, rêve du costume qu’elle portait à 17 ou 18 ans lors d'un bal organisé par sa belle-sœur, Winifred. Cela la reporte ensuite dans la maison abandonnée de son enfance, Avalon, et au costume porté au bal qui eut lieu à Toronto en 1935. Après la mort du père d’Iris, son mari Richard a laissé Avalon se dégrader. Iris se sent coupable de n’avoir pas su protéger sa petite sœur des avances de son mari.

Commentaires
La fleur blanche désigne sa sœur Laura, de quatre ans plus jeune qu'elle et qui se caractérisait par une grande candeur, croyant naïvement tout ce qu'on lui disait. Les images de désolation reflètent le sentiment dominant qu'éprouve la narratrice, à travers tout ce livre, que sa vie a été un gâchis.

Texte original

Texte témoin
Le Tueur aveugle. Traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch. Paris : Robert Laffont, 2002, p. 371.

Édition originale
The Blind Assassin. Toronto : McClelland & Stewart, 2000, p. 329.




Rêve d’Iris (3)

Une fille d’Abyssinie

La nuit dernière, j’ai rêvé que je portais mon costume du bal de Xanadu, J’étais censée être une fille d’Abyssinie — la demoiselle au tympanon. Il était en satin vert, ce costume : un petit boléro galonné de paillettes dorées dévoilant beaucoup de gorge et de ventre ; un caleçon en satin vert, des culottes transparentes. Beaucoup de fausses pièces d’or, portées en collier et nouées autour du front. Un petit turban crânement posé sur la tête et décoré d’une broche en croissant. Un voile sur le nez. L’idée que se faisait de l’Orient un styliste amateur de cirque et de clinquant.

Je me trouvai très mignonne là-dedans jusqu’au moment où je me rendis compte, en baissant les yeux vers mon ventre fané, mes jointures enflées et veinées de bleu, mes bras flétris, que je n’avais pas l’âge que j’avais à l’époque, mais l’âge que j’ai aujourd’hui.

Je n’étais pas au bal, cependant. J’étais toute seule, ou c’est ce que je crus d’abord, dans l’orangerie dévastée d’Avalon. Des pots vides étaient éparpillés çà et là ; d’autres étaient remplis de terre toute sèche et de plantes mortes. L’un des sphinx en pierre gisait par terre, renversé sur le côté, couvert de graffitis au crayon-feutre — noms, initiales, dessins grossiers. Il y avait un trou dans la verrière. L’endroit empestait le chat.

Le corps de bâtiment principal derrière moi était sombre, déserté, il n’y avait personne dedans. J’avais été abandonnée dans cette tenue ridicule. Il faisait nuit, avec une lune aux allures de bout d’ongle. Sous sa lumière, je vis qu’en fait une seule et unique plante était restée en vie : un arbuste aux feuilles vernissées avec une fleur blanche. Laura, murmurai-je. De l’autre côté, dans l’ombre, un homme éclata de rire.

Pas méchant comme cauchemar, me diriez-vous. Attendez d’y avoir goûté. Je me réveillai, désespérément triste.

Pourquoi notre esprit fait-il des choses pareilles? Se tourner contre nous, nous déchirer, plonger les griffes en nous. Si vous avez assez faim, dit-on, vous vous mettez à manger votre propre cœur. C'est peut-être la même chose ici.

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