Beaujeu

Le Bel Inconnu

France   1200

Genre de texte
Roman en vers

Contexte

«Une rivière impétueuse comme le tonnerre»

Giglain, ou Le Bel Inconnu, de Renaut de Beaujeu, est un roman de 6 266 octosyllabes dont on ne possède qu’un seul manuscrit. Le thème central du récit est la délivrance de Blonde Esmérée, la fille d’un roi de Galles, changée en serpent par deux enchanteurs. Blonde Esmérée reconquiert sa forme humaine en donnant au Bel Inconnu un baiser sur la bouche, le «fier baisé». Après la délivrance de Blonde Esmérée, le Bel Inconnu rejoint la fée aux Blanches Mains, qu’il avait aussi délivrée. Après, il part vers la cour du roi Arthur, et y épouse Blonde Esmérée.

Le blason du Bel Inconnu décrit par deux fois dans le roman, assimile le héros à un membre de la noble famille de Bâgé. La coutume de s’attribuer une origine fabuleuse était, à l’époque, pas rare chez les grandes lignées. Renaut de Beaujeu pourrait être donc Renaut de Bâgé, seigneur de Saint-Trivier (1165-1230.

Texte original

Texte témoin
Le Bel Inconnu ou Giglain fils de Messire Gauvain et de la fée aux Blanches Mains. Édition de C. Hippeau, Genève : Slatkine Reprints, «Collection des poètes français du Moyen Âge III», 1969 (réimpression des éditions de Caen et de Paris, 1852-1877), vers 4454-4512.

Traduction : Le Bel Inconnu. Roman d’aventures du XIII° siècle, par Michèle Perret et Isabelle Weill, Paris : Librairie Honoré Champion, «Traduction des classiques français du Moyen Âge», 1991, p. 80.

Bibliographie
Dictionnaire des Lettres Françaises. Le Moyen Âge. Édition entièrement revue et mise à jour sous la direction de Geneviève Hasenohr et Michel Zinc, Paris : Fayard, 1992, pages 1254-1255.




Guinglain au perchoir

Une crise de somnambulisme

Dans son lit, il n'arrêtait pas de se plaindre, il n’arrêtait pas de dire : «Maintenant, j'y vais! Non, vraiment, je n'y vais pas!» Ainsi le torturait l'Amour, son maître, qui le menait et le gouvernait.

Mais voici qu'il décida d'y aller : l'Amour le pressait et l'aiguillonnait! Il se leva donc de son lit, passa un manteau et se dirigea sans bruit vers la chambre. Il était déjà près de minuit.

Mais à l'instant où il essaye d'entrer dans la chambre, il n'arrive pas à en atteindre la porte : il lui semble qu'il se trouve sur une planche sous laquelle coule une grande rivière, impétueuse et bruyante comme le tonnerre. Guinglain s'arrête sur place, puisqu'il ne peut plus ni avancer, ni reculer, tant la planche était étroite. Il désire de toutes ses forces avoir franchi le torrent, il regarde en bas l'eau qui imprime à la passerelle un tel tremblement qu'il ne peut se tenir sur ses pieds : il lui semble qu'il tombe dans l'eau. Il se retient par les mains, le reste du corps suspendu dans le vide. Il n'est pas étonnant qu'il ait peur : sous lui, il voit l'eau qui gronde. Ses bras faiblissent de plus en plus, il pense qu'il va mourir. De toute ses forces, il hurle : «Mes amis, au secours! Au secours, pour l'amour de Dieu! Je vais me noyer! Nobles amis, bonnes gens, venez à mon secours! Je suis suspendu ici à une planche et je ne peux plus me retenir. Mes amis, ne me laissez pas mourir ici!»

Dans la salle, tous les serviteurs qui ont entendu ce bruit s'éveillent et allument bougies et chandelles : ils découvrent alors Guinglain, accroché au perchoir d'un épervier et, là, mort de peur de se noyer. Il se tenait au perchoir des deux mains, le reste du corps dans le vide. Dès qu'il vit les serviteurs, l'enchantement cessa et Guinglain s'en retourna, tout penaud et décontenancé, dans son lit où il se recoucha, exténué, honteux et mécontent. Il voyait les serviteurs plaisanter et se moquer du spectacle qu'il leur avait donné et comme il se rendait bien compte qu'il avait été ensorcelé, de honte, il ne souffla mot et retourna se coucher tranquillement dans son lit.

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