Gérard de Nerval

Aurélia

France   1855

Genre de texte
récit

Contexte
Ce rêve se situe au centre du chapitre 9, l'avant-dernier de la première partie.

ä la suite d'une mauvaise chute, le narrateur se trouve dans une grave dépression où il se reproche de n'avoir pas été digne de rejoindre Aurélia dans la mort, puis de ne pas lui avoir été fidèle. Voilà pourquoi il compte « interroger ses rêves » : c'est elle qu'il veut interroger.

Notes
Son image: il s'agit d'Aurélia.

Orient. Second chapitre du deuxième rêve : des terrasses de la ville mystérieuse, oasis des hauteurs, le narrateur est redescendu avec son guide. Il pénètre dans une vaste chambre où travaille un vieillard. Au moment où il franchit le seuil, «  un homme vêtu de blanc, dit-il, dont je distinguais mal la figure, me menaça d'une arme qu'il tenait à la main; mais celui qui m'accompagnait lui fit signe de s'éloigner » (c'est nous qui soulignons).

Cet incident suit la première vision. À la suite de la première crise, le narrateur est persuadé que les deux amis qui viendront effectivement le chercher le matin sont déjà venus durant la nuit, au cachot où il a été emprisonné, et ont emmené par erreur un autre homme, son double.

Une arme. On comprend clairement, à la note de l'auteur (**), que le rêve se construit sur la chute que le narrateur a faite en visitant la maison d'un de ses amis : en descendant de la terrasse, il perd pied dans l'escalier et sa poitrine rencontre le coin d'un meuble. La douleur est telle qu'il croit mourir et se précipite dans le jardin pour voir une dernière fois le soleil couchant, tel qu'il vient de l'observer à la terrasse. Suit l'évanouissement, puis une nouvelle crise qui commence par les rêves décrits ici.

**. Cela faisait allusion, pour moi, au coup que j'avais reçu dans ma chute [note de Nerval].

Commentaires
De l'évocation de rêves confus, on passe tout de suite à un rêve ou du moins à un fragment de rêve, suivi d'une analyse (non reproduite ici : c'est la fin du chapitre) sur la signification qui s'en dégage, d'abord le fait que l'homme soit double et ensuite que le double du narrateur vit à sa place dans l'autre monde, ce qui relance le récit des rêves ici interrompu (ce sera le chapitre 10). Les deux « récits de rêves » forment une telle unité qu'il peut paraître artificiel de les séparer comme nous le faisons ici. En tout cas, ce cinquième « rêve » est nettement le prélude ou l'introduction du suivant.

Texte témoin
Gérard de Nerval, OEuvres, texte établi, annoté et présenté par Albert Béguin et Jean Richer, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1952, p. 380- 381.

Édition originale
Gérard de Nerval, « Aurélia », Revue de Paris, (1er janvier 1855, pour la première partie, 15 février pour la seconde).

Édition critique
Gérard de Nerval, OEuvres, texte établi, annoté et présenté par Albert Béguin et Jean Richer, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1952, p. 380-381, rééd. 1955, p. 384-385.

--, Aurélia, éd. de Pierre-Georges Castex, Paris, SEDES, 1971, p. 47.

--, Aurélia [et autres oeuvres], éd. de Jacques Bony, Paris, Flammarion (coll. « GF-Flammarion »), 1990, p. 275-276.

--, Aurélia ou le Rêve et la vie; les Nuits d'octobre; Petits Châteaux de Bohême; Promenades et souvenirs, préface et commentaire par Gabrielle Chamarat-Malandain, Paris, Pocket (coll. « Lire et voir les classiques »), 1994.




Le cinquième rêve

Dédoublement

L'idée me vint d'interroger le sommeil, mais son image, qui m'était apparue souvent, ne revenait plus dans mes songes*. Je n'eus d'abord que des rêves confus, mêlés de scènes sanglantes. Il semblait que toute une race fatale se fût déchaînée au milieu du monde idéal que j'avais vu autrefois et dont elle était la reine. Le même Esprit qui m'avait menacé, -- lorsque j'entrais dans la demeure de ces familles pures qui habitaient les hauteurs de la Ville mystérieuse, -- passa devant moi, non plus dans ce costume blanc qu'il portait jadis, ainsi que ceux de sa race, mais vêtu en prince d'Orient*. Je m'élançai vers lui, le menaçant, mais il se tourna tranquillement vers moi. Ô terreur ! ô colère ! c'était mon visage, c'était toute ma forme idéalisée et grandie... Alors je me souvins de celui qui avait été arrêté la même nuit que moi et que, selon ma pensée, on avait fait sortir sous mon nom du corps de garde, lorsque deux amis étaient venus pour me chercher*. Il portait à la main une arme dont je distinguais mal la forme, et l'un de ceux qui l'accompagnaient dit : « C'est avec cela qu'il l'a frappé »*.

Je ne sais comment expliquer que, dans mes idées, les événements terrestres pouvaient coïncider avec ceux du monde surnaturel, cela est plus facile à sentir qu'à énoncer clairement**. Mais quel était donc cet esprit qui était moi et en dehors de moi. Était-ce le Double des légendes, ou ce frère mystique que les Orientaux appellent Ferouër ?

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