Gérard de Nerval

Aurélia

France   1855

Genre de texte
récit

Contexte
Ce rêve se situe au chapitre 2 de la deuxième partie d'Aurélia.

Après avoir vainement tenté de retrouver de mémoire la tombe d'Aurélia au cimetière, le narrateur court chez lui y chercher un papier sur lequel les indications exactes sont inscrites. Puis, il est saisi de honte à l'idée de profaner la tombe d'une chrétienne par sa présence et renonce à retourner au cimetière. Il décide plutôt de se rendre dans une petite ville où il fut heureux dans sa jeunesse. ä l'auberge où il s'arrête, l'hôtelier lui apprend qu'un de ses anciens amis s'est suicidé.

Notes
*. « L'hôtelier me parla d'un de mes anciens amis, habitant de la ville, qui, à la suite de spéculations malheureuses, s'était tué d'un coup de pistolet... » (cette phrase précède immédiatement le texte reproduit ici).

***. Aurélia

Commentaires
Michel Crouzet, « La rhétorique du rêve dans Aurélia » dans Jacques Huré, Joseph Jurt et Robert Kopp (dir.), Nerval : une poétique du rêve, actes du colloque de Bâle, Mulhouse et Fribourg, 10-12 novembre 1986, Paris et Genève, Champion et Slatkine, 1989, p. 183-207.

Texte témoin
Gérard de Nerval, OEuvres, texte établi, annoté et présenté par Albert Béguin et Jean Richer, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1952, p. 390- 391.

Édition originale
Gérard de Nerval, « Aurélia », Revue de Paris, (1er janvier 1855, pour la première partie, 15 février pour la seconde).

Édition critique
Gérard de Nerval, Œuvres, texte établi, annoté et présenté par Albert Béguin et Jean Richer, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1952, p. 390-391, rééd. 1955, p. 394-395.

--, Sylvie, les Chimères, Aurélia, Paris, Bordas (coll. « Sélection littéraire Bordas »), 1967, p. 136-137.

--, Aurélia, éd. de Pierre-Georges Castex, Paris, SEDES, 1971, p. 59-60.

--, Aurélia [et autres oeuvres], éd. de Jacques Bony, Paris, Flammarion (coll. « GF-Flammarion »), 1990, p. 289-290.

--, Aurélia ou le Rêve et la vie; les Nuits d'octobre; Petits Châteaux de Bohême; Promenades et souvenirs, préface et commentaire par Gabrielle Chamarat-Malandain, Paris, Pocket (coll. « Lire et voir les classiques »), 1994.




Le septième rêve

La perte

Le sommeil m'apporta des rêves terribles. Je n'en ai conservé qu'un souvenir confus. — Je me trouvais dans une salle inconnue et je causais avec quelqu'un du monde extérieur, — l'ami dont je viens de parler, peut-être*. Une glace très haute se trouvait derrière nous. En y jetant par hasard un coup d'oeil, il me sembla reconnaître A***. Elle semblait triste et pensive, et tout à coup, soit qu'elle sortît de la glace, soit que passant dans la salle elle se fût reflétée un instant avant, cette figure douce et chérie se trouva près de moi. Elle me tendit la main, laissa tomber sur moi un regard douloureux et me dit : «Nous nous reverrons plus tard... à la maison de ton ami».

En un instant, je me représentai son mariage, la malédiction qui nous séparait... et je me dis : « Est-ce possible? reviendrait-elle à moi?» « M'avez-vous pardonné?» demandai-je avec larmes. Mais tout avait disparu. Je me trouvais dans un lieu désert, une âpre montée semée de roches, au milieu des forêts. Une maison, qu'il me semblait reconnaître, dominait ce pays désolé. J'allais et je revenais par des détours inextricables. Fatigué de marcher entre les pierres et les ronces, je cherchais parfois une route plus douce par les sentes du bois. « On m'attend là-bas! » pensais-je. — Une certaine heure sonna... Je me dis : Il est trop tard! Des voix me répondirent : Elle est perdue ! Une nuit profonde m'entourait, la maison lointaine brillait comme éclairée pour une fête et pleine d'hôtes arrivés à temps. « Elle est perdue! m'écriai-je, et pourquoi ?... Je comprends, — elle a fait un dernier effort pour me sauver; — j' ai manqué le moment suprême où le pardon était possible encore. Du haut du ciel, elle pouvait prier pour moi l'Époux divin... Et qu'importe mon salut même? L'abîme a reçu sa proie ! Elle est perdue pour moi et pour tous!... » Il me semblait la voir comme à la lueur d'un éclair, pâle et mourante, entraînée par de sombres cavaliers... Le cri de douleur et de rage que je poussai en ce moment me réveilla tout haletant.

— Mon Dieu, mon Dieu ! pour elle et pour elle seule, mon Dieu, pardonnez! m'écriai-je en me jetant à genoux.

Il faisait jour. Par un mouvement dont il m'est difficile de rendre compte, je résolus aussitôt de détruire les deux papiers que j'avais retirés la veille du coffret : la lettre, hélas! que je relus en la mouillant de larmes, et le papier funèbre qui portait le cachet du cimetière. « Retrouver sa tombe maintenant? me disais-je, mais c'est hier qu'il fallait y retourner, — et mon rêve fatal n'est que le reflet de ma fatale journée!».

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