Gérard de Nerval

Aurélia

France   1855

Genre de texte
récit

Contexte
Aurélia s'achève sur ce récit (le texte de l'oeuvre étant toutefois suivi des « Mémorables »). Le récit est toutefois suivi des « Mémorables » où se trouvent ou plutôt se fondent de nombreux fragments de rêves. Mais on peut dire que ce neuvième rêve achève le récit proprement dit d'Aurélia, avant son épilogue.

Au sortir d'une nuit d'hallucination, le médecin (c'est de docteur Blanche dans la vie de Nerval) confie au narrateur le soin d'un malade qui doit être nourri par un long tuyau de caoutchouc. Le malade ne voir rien et ne peut parler. Il s'agit d'un jeune soldat ayant combattu en Afrique qui refusait de s'alimenter depuis six semaines, à peu près inconscient. Le narrateur aura le bonheur de le ramener peu à peu à la vie. Lorsqu'il croit l'entendre dire quelques mots pour la première fois, il est transporté d'allégresse.

Notes
* La situation rappelle celle du premier rêve, comme celle-ci rappelait déjà le premier « rêve » des Nuits d'octobre. Le rêve en est précisément l'explication, comme on va le voir.

Il avait les traits. C'est-à-dire du jeune malade qu'il tente d'aider à reprendre force et vie.

Magnétiser. Sa tête longuement penchée sur celle du malade, « il me semblait, dit-il, qu'un certain magnétisme réunissait nos deux esprits... », d'où les premiers mots qu'il croit lui entendre prononcer (ce compte rendu précède immédiatement le récit du rêve).

Le délire. « Désespéré, je me dirigeai en pleurant vers Notre-Dame de Lorette, où j'allai me jeter au pied de l'autel de la Vierge, demandant pardon pour mes fautes. Quelque chose en moi me disait : "La Vierge est morte et tes prières sont inutiles" ». Cet épisode se situe au coeur d'un délire d'interprétation systématique (paranoïa) de type religieux, qui se développe tout au long du chapitre 4 de la seconde partie et qui le conduit à la maison Dubois (inspiré du séjour à la clinique Dubois en février-mars 1853, maison de santé municipale, faubourg Saint-Denis).

Texte témoin
Gérard de Nerval, OEuvres, texte établi, annoté et présenté par Albert Béguin et Jean Richer, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1952, p. 408- 409.

Édition originale
Gérard de Nerval, « Aurélia », Revue de Paris, (1er janvier 1855, pour la première partie, 15 février pour la seconde).

Édition critique
Gérard de Nerval, OEuvres, texte établi, annoté et présenté par Albert Béguin et Jean Richer, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1952, p. 408-409, rééd. 1955, p. 412-413.

--, Aurélia, éd. de Pierre-Georges Castex, Paris, SEDES, 1971, p. 78-79.

--, Aurélia [et autres oeuvres], éd. de Jacques Bony, Paris, Flammarion (coll. « GF-Flammarion »), 1990, p. 309-310.

--, Aurélia ou le Rêve et la vie; les Nuits d'octobre; Petits Châteaux de Bohême; Promenades et souvenirs, préface et commentaire par Gabrielle Chamarat-Malandain, Paris, Pocket (coll. « Lire et voir les classiques »), 1994.




Le neuvième et dernier rêve

La divinité en costume indien

Cette nuit-là j'eus un rêve délicieux, le premier depuis bien longtemps. J'étais dans une tour, si profonde du côté de la terre et si haute du côté du ciel, que toute mon existence semblait devoir se consumer à monter et à descendre*. Déjà mes forces s'étaient épuisées, et j'allais manquer de courage, quand une porte latérale vint à s'ouvrir; un esprit se présente et me dit : « Viens, frère !... ». Je ne sais pourquoi il me vint à l'idée qu'il s'appelait Saturnin. Il avait les traits du pauvre malade, mais transfigurés et intelligents*. Nous étions dans une campagne éclairée des feux des étoiles; nous nous arrêtâmes à contempler ce spectacle, et l'esprit étendit sa main sur mon front comme je l'avais fait la veille en cherchant à magnétiser* mon compagnon; aussitôt une des étoiles que je voyais au ciel se mit à grandir et la divinité de mes rêves m'apparut souriante, dans un costume presque indien, telle que je l'avais vue autrefois. Elle marcha entre nous deux, et les prés verdissaient, les fleurs et les feuillages s'élevaient de terre sur la trace de ses pas... Elle me dit : « L'épreuve à laquelle tu étais soumis est venue à son terme; ces escaliers sans nombre, que tu te fatiguais à descendre ou à gravir, étaient les liens mêmes des anciennes illusions qui embarrassaient ta pensée, et maintenant rappelle-toi le jour où tu as imploré la Vierge sainte et où, la croyant morte, le délire* s'est emparé de ton esprit. Il fallait que ton vœu lui fût porté par une âme simple et dégagée des liens de la terre. Celle-là s'est rencontrée près de toi, et c'est pourquoi il m'est permis à moi-même de venir et de t'encourager ». La joie que ce rêve répandit dans mon esprit me procura un réveil délicieux. Le jour commençait à poindre. Je voulus avoir un signe matériel de l'apparition qui m'avait consolé, et j'écrivis sur le mur ces mots : « Tu m'as visité cette nuit ».

Page d'accueil

- +