Anonyme

Le siège de Barbastre

France   1200

Genre de texte
Chanson de geste

Contexte
Chanson de geste de la fin du XIIe siècle ou du début du XIIIe appartenant au « grand cycle » de Guillaume d’Orange, et dans laquelle Beuves de Commarchis (un des frères de Guillaume) joue un rôle fondamental.

Le siège de Barbastre nous raconte la défaite des guerriers sarrasins qui s’efforcent de reconquérir la ville de Barbastre, en Aragon, tombée aux mains de Beuves de Commarchis et de ses fils Girart et Guielin.

Convaincu qu'il ne recevra pas de renforts, Beuve de Commarchis, assiégé dans Barbastre, est prêt à accepter la fausse promesse que lui fait son ennemi, l'émir, de laisser partir sains et saufs les défenseurs de la ville si Beuve lui rend celle-ci. Girart, qui vient de faire un songe, qu'il interprète correctement comme étant l'annonce de l'arrivée de renforts venus de France, entend son père en train de parler à l'émir. Il conseille à Beuve de ne pas faire foi aux promesses du Sarrasin. Il lui raconte aussi, en l'expliquant, le songe qu'il vient de faire. Beuve, cependant, interprète le songe d'une façon différente, et donne l'ordre à Girart de ne pas s'ingérer dans ses négociations avec l'émir.

Notes
* Ces mots du duc Beuve sont tellement incompatibles avec l'interprétation du songe qu'il donne tout de suite [vers 5278-5282] qu'il est presque certain que des vers contenant une question posée par lui à son fils sur la signification du songe ont existé entre les vers 5276 et 5277, mais sont maintenant perdus. Il ne fait pas de doute que le vers 5277 n'est plus que l'explication que Girart donne à son père sur la signification du songe. La leçon du manuscrit édité en 1926 par J. L. Perrier nous montre, en effet, qu'il en est ainsi :

4808 Ennuit songié un songe, dont molt sui esbaldiz,
[…]
4816 C'est li secors de France, loialment vos plevis. »
4817 – « Non est », Bueves respont, « por neant l'avez dit. »

Traduction :
4808 « Cette nuit je fis un songe à cause duquel je suis très étourdi.
[…]
4816 Par ma foi, c'est le secours de France. »
4817 – « Cela n'est pas vrai », Beuve répond. « Vous avez parlé en vain. »

Texte original

Texte témoin
Édité par Bernard Guidot, Paris, Honoré-Champion (diffusion hors France : éditions Slatkine, Genève), 2000, vers 5239-5290.




Songe de Girart

De France venait un dragon

Girart est couché dans la salle dans laquelle est couché aussi son frère Gui.
Il entend son père parler à ses ennemis.
Sans tarder, il se chausse et s'habille rapidement,
S'approche de son frère Gui, prend celui-ci par les épaules
Parce qu'il dormait, le tire hors du lit.
« Frère », dit Girart, « maintenant vous êtes trahi!
Beuve parle à ceux qui nous haïssent tant. »
Quand Gui l'entend, il sort du lit
Et monte les marches en marbre brun-gris.
Ils s'en vont vers les murs où Beuve fut trahi.
[Celui-ci], la tête inclinée, car il était très fâché,
Parlait au puissant émir.
Girart s'approche de son père, [et] prend celui-ci par les épaules.
« Père », dit Girart, « que dit ce roi détestable? »
– « Mon noble fils, il me supplie de lui accorder
Barbastre, dont je me suis rendu maître.
Il nous laissera partir sains et saufs et vivants
Si on lui rend [aussi] Malatrie, la belle au brillant visage,
Et le roi Libanor, qui est vaillant et hardi. »
– « Père », dit Girart, « vous avez perdu le sens.
Donnez-moi votre main, par ma foi je vous assure
Que, si vous sortez d'ici vers les Arabes
Il est impossible que vous ne soyez pas tué.
Aussitôt, il ne restera pas un seul de nos Francais vivant. »
– « Noble fils », commenta le duc, « qu'est-ce que tu me dis?
L'émir, qui est de grande noblesse, le promit,
Et [aussi], avec lui, à mon avis, sept rois sarrasins,
Que l'accord sera respecté. »
– « Père », dit Girart, « vous êtes outrecuidant.
Cette nuit je fis un songe, à cause duquel je suis très étonné,
Que de France venait un dragon puissant
[Et] qu'il s'asseyait ici, en ce palais voûté.
Il jetait du feu et des flammes, tout brûlait dans ce pays.
Une grande quantité d'oisillons se plaça autour de lui.
Quand j'en pris conscience, il me semble bien
Que tous criaient « Beuve de Commarchis,
Donnez-nous le trésor que vous nous avez promis. »
Le duc Beuve, dont Girart était le fils, dit alors :
«C'est le secours qui vient de France, je vous l'assure loyalement.»*
Et Beuve ajouta : « Tu te trompes, mon noble fils.
Le dragon que tu vis, c'est le roi d'Arabie
Qui nous capturera par force avant que trois jours ne se soient écoulés.
Les oisillons que tu as vus, mon noble fils,
C'étaient les Francais qui seront capturés ici
[Et] qui seront traités outrageusement.
« Noble fils », continua le duc, « ne me contrariez pas!
Laissez-moi résoudre à ma manière notre situation.
Le songe que tu fis ne peut pas beaucoup nous aider.
Au contraire, il pourrait devenir un très grand ennui.
Mon noble fils, approuvez ce que je fais, je vous prie. »
– « Père », dit Girart, « je ne veux pas vous mettre en colère.
Agissez selon la façon que vous croyez être la meilleure. »

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