Marcel Proust

Le Côté de Guermantes

France   1914

Genre de texte
roman

Contexte
Ce rêve se situe environ à la fin du premier tiers du roman le Côté de Guermantes I.
Marcel tente de se rapprocher de Mme de Guermantes en allant voir Saint-Loup à sa garnison. Pendant qu'il séjourne à Doncières, Saint-Loup se brouille avec sa maîtresse. Ce rêve résulte de l'angoisse créée par cette brouille.

Commentaires
Pour Milton Miller, «Le rêve où Robert de Saint-Loup entend "les cris intermittents et réguliers qu'avait l'habitude de pousser sa maîtresse aux instants de volupté» avec un lieutenant très riche et très vicieux, hôte du maréchal des logis-chef, est un rêve où s'expriment la jalousie, la peur d'être impuissant: c'est un rêve de conflit homosexuel, d'envie de la virilité d'un autre, d'identification refoulée à une femme. Nous verrons plus tard que cette prédiction est juste: Robert de Saint-Loup devient homosexuel.» (Psychanalyse de Proust, p. 247)

Pour le psychanalyste, Proust a intégré à son œuvre des fragments de ses propres rêves, soigneusement revus, et qui témoignent de ses efforts pour surmonter ses pulsions.

Texte témoin
Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, collection «Quarto», 1999, p. 840.

Édition originale
Marcel Proust, le Côté de Guermantes, Paris, Grasset, 1914.




Saint-Loup

Il entend ses cris de volupté

Cependant lui, à Doncières, ne dormait plus un instant la nuit. Une fois, chez moi, vaincu par la fatigue, il s'assoupit un peu. Mais tout d'un coup, il commença à parler, il voulait courir, empêcher quelque chose, il disait : «Je l'entends, vous ne... vous ne...». Il s'éveilla. Il me dit qu'il venait de rêver qu'il était à la campagne chez le maréchal des logis chef. Celui-ci avait tâché de l'écarter d'une certaine partie de la maison. Saint-Loup avait deviné que le maréchal des logis avait chez lui un lieutenant très riche et très vicieux qu'il savait désirer beaucoup son amie. Et tout à coup dans son rêve il avait distinctement entendu les cris intermittents et réguliers qu'avait l'habitude de pousser sa maîtresse aux instants de volupté. Il avait voulu forcer le maréchal des logis de le mener à la chambre. Et celui-ci le maintenait pour l'empêcher d'y aller, tout en ayant un certain air froissé de tant d'indiscrétion, que Robert disait qu'il ne pourrait jamais oublier.
«Mon rêve est idiot», ajouta-t-il encore tout essoufflé.
Mais je vis bien que, pendant l'heure qui suivit, il fut plusieurs fois sur le point de téléphoner à sa maîtresse pour lui demander de se réconcilier. [...] Le cauchemar qu'avait eu Saint-Loup s'effaça un peu de son esprit.

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