André Breton

La Révolution surréaliste

France   1924

Genre de texte
récit de rêve

Contexte
Sauf pour les numéros 6 et 12, la Révolution surréaliste publiera toujours des récits de rêves, comme ceux-ci dans le premier numéro.

Contrairement aux récits de rêves qui prennent place en tête du recueil de poésies Clair de terre sous le titre de « Cinq rêves », ceux-ci se présentent résolument comme des récits de rêves, sans aucune mise en perspective littéraire ou poétique.

Notes
* L'« art nègre » fait partie de l'abc du cubisme tout comme du surréalisme : cf. les Demoiselles d'Avignon (1907) de Picasso et la Vierge Marie corrigeant l'Enfant Jésus devant trois témoins : André Breton, Paul Éluard et l'auteur (1928) de Max Ernst.

Pantin : né à Tinchebray (Orne), André Breton avait six ans lorsque ses parents se sont installés à Pantin où il fera ses petites classes (1902-1907), avant d'être en demi-pension au lycée Chaptal de Paris. Pendant qu'il commence sa médecine, ses parents déménagent au 70 de l'avenue d'Aubevilliers, au début de 1914 (cf. la chronologie de Marguerite Bonnet, éd. de la Pléiade, vol. 1, p. xxxii).

Texte témoin
André Breton, « Rêve no 1 », dans Sarane Alexandrian, le Surréalisme et le rêve, Paris, Gallimard, 1974, p. 246-247.

Édition originale
André Breton, « Rêves », la Révolution surréaliste, no 1 (décembre 1924), p. 3-5.

Édition critique
André Breton, « Rêves », Å’uvres complètes, éd. Marguerite Bonnet, vol. 1, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque de la pléiade »), p. 887-890, 887-888.

Bibliographie
Alexandrian, Sarane, le Surréalisme et le rêve, Paris, Gallimard, 1974, p. 246-249 : l'auteur édite d'abord le rêve de Breton et en propose ensuite une analyse (interprétation aussi ingénieuse qu'amusante, de l'ordre des mots croisés surréalistes).




1er des trois «Rêves»

Un cercueil

La première partie de ce rêve est consacrée à la réalisation et à la présentation d'un costume. Le visage de la femme à laquelle il est destiné doit y jouer le rôle d'un motif ornemental simple, de l'ordre de ceux qui entrent plusieurs fois dans une grille de balcon, ou dans un cachemire. Les pièces du visage (yeux, cheveux, oreille, nez, bouche et les divers sillons) sont très finement assemblées par des lignes de couleurs légères : on songe à certains masques de la Nouvelle-Guinée* mais celui-ci est d'une exécution beaucoup moins barbare. La vérité humaine des traits ne s'en trouve pas moins atténuée et la répétition à diverses reprises sur le costume, notamment dans un chapeau, de cet élément purement décoratif ne permet pas plus de le considérer seul et de lui prêter vie qu'à un ensemble de veines dans un marbre uniformément veiné. La forme du costume est telle qu'elle ne laisse en rien subsister la silhouette humaine. C'est, par exemple, un triangle équilatéral.

Je me perds dans sa contemplation.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En dernier lieu je remonte, à Pantin, la route d'Aubervilliers dans la direction de la Mairie lorsque, devant une maison que j'ai habitée*, je rejoins un enterrement qui, à ma grande surprise, se dirige dans le sens opposé à celui du Cimetière parisien. Je me trouve bientôt à la hauteur du corbillard. Sur le cercueil un homme d'un certain âge, extrêmement pâle, en grand deuil et coiffé d'un chapeau haut de forme, qui ne peut être que le mort, est assis et, se tournant alternativement à gauche et à droite, rend leur salut aux passants. Le cortège pénètre dans la manufacture d'allumettes.

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