Germaine Guèvremont

Marie-Didace

Québec   1947

Genre de texte
roman

Contexte
Le passage se situe au début du chapitre 2 de la deuxième partie du roman.

Ce cauchemar, Phonsine le fait régulièrement depuis six ans, soit depuis la naissance de sa fille et la mort de son mari. Le rêve est présenté tard dans le récit pour justifier un long détour que fait Phonsine qui veut éviter de passer près du puits. Elle fait ce détour depuis qu’elle est habitée par ce cauchemar qui révèle le peu d’emprise que Phonsine exerce sur l’existence de sa fille, ainsi que la rivalité qui règne entre elle et la femme de son beau-père.

Notes
Phonsine : diminutif d’Alphonsine; l’une des protagonistes principales, mère de Marie-Didace et veuve d’Amable Beauchemin.

Amable : mari de Phonsine et fils de Didace Beauchemin.

L’Acayenne : déformation du mot Acadienne; femme de Didace Beauchemin, le beau-père de Phonsine.

Texte témoin
Marie-Didace, Montréal, Fides, collection du Nénuphar, 1965, p. 158.

Édition originale
Marie-Didace, Montréal, Éditions Beauchemin, 1947.

Édition critique
Marie-Didace, Yvan G. Lepage, les Presses de l’Université de Montréal, la Bibliothèque du nouveau monde, 1996.




2e rêve de Phonsine

La chute dans le vide

La première fois que Phonsine, en rêve, était tombée dans le puits, c’était le surlendemain de la mort d’Amable. D’abord, elle rêvait qu’en cherchant à l’ôter à l’Acayenne, sa tasse lui échappait des mains. Comme elle se penchait au-dessus du puits pour essayer de la reprendre, elle s’apercevait que ce n’était plus sa tasse, mais sa petite fille qui tombait. Elle-même, happée par le vide, tournoyait dans l’abîme sans fond, en poussant un cri qui lui écorchait la gorge. Elle s’était éveillée trempée de sueurs, la gorge à vif, et en palpitations comme si son coeur voulait bondir hors de la poitrine.

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Le mois suivant, le rêve de Phonsine s’était renouvelé par deux fois. Dès qu’elle avait eu la force d’entreprendre le voyage, elle était allée consulter le médecin à Sorel.

— Cries-tu fort? lui avait-il demandé.

— Je dois. La gorge me brûle quand je me réveille.

— Quoi c’est que t’éprouves quand tu tombes dans le puits?

— D’abord, ça m’attire. Après... ben c’est la mort. Je meurs à tout coup.

— Puis le lendemain?

— Je sens une fatigue, une pesanteur par tout le corps. J’ai mal à tous les membres. Je vous dis, je reste moulue comme après une grosse journée de battage au moulin.

Le docteur caressa sa barbe pensivement. [...]

— Je vois rien de grave dans ton cas, conclut-il.

[...]

Ce qu’elle ne pouvait dire au médecin, c’était ce qui la rongeait: l’incurable rancune qu’elle gardait à l’Acayenne d’avoir poussé Amable à partir; de l’avoir remplacée, elle, comme reine et maîtresse dans la maison; et, au-dessus de tout, la crainte de perdre sa petite. (TT: p. 159-61)

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