Georges de Scudéry

Ligdamon et Lidias, ou La ressemblance : tragi-comédie

France   1631

Genre de texte
Théâtre (vers)

Contexte
Le rêve se trouve à la première scène du quatrième acte.

Amerine, amoureuse de Lidias, raconte ce songe vers la fin du récit à sa mère (ou à la mère de Lidias?). Ce rêve annonce le destin tragique d’Amerine, qui mourra des mains de Ligdamon qu’elle prendra pour Lidias.

Notes
L’idée selon laquelle les rêves sortiraient par deux portes se trouve chez Homère:

« Ã‰tranger, certes, les songes sont difficiles à expliquer, et tous ne s’accomplissent point pour les hommes. Les songes sortent par deux portes, l’une de corne et l’autre d’ivoire. Ceux qui sortent de l’ivoire bien travaillé trompent par de vaines paroles qui ne s’accomplissent pas ; mais ceux qui sortent par la porte de corne polie disent la vérité aux hommes qui les voient.» (L’Odyssée, Chant 19)

Texte témoin
Paris : F. Targa, 1631, p. 78-80.




Rêve d’Amérine

Funeste et énigmatique vision

AMERINE.
Certaine vision me trouble et m’espouvante.

LA MERE.
Ces larves ne sont rien qu’une ombre decevante,
Et s’engendrent alors que la nuict fait son tour
Des vapeurs du cerveau et des pensers du jour :
Mais durant ce loisir dépeignez m’en l’idée,
Au moins si la memoire en soy l’a bien gardée.

AMERINE.
C’estoit dessus le poinct que du pasle Croissant
Les deux cornes d’argent alloient disparoissant,
à l’heure que Morphée, à ce qu’on nous fait croire,
Chasse les songes faux par la porte d’ivoire,
Quand lassée de gemir autant que de veiller
Mon oeil appesanty s’est mis à sommeiller;
Lors de mon Lidias, ô l’estrange pensée!
L’ame seule sans corps en mon lit s’est glissée
Froide comme un glaçon, se coulant dans mes bras
Je vis ensanglanter mon visage et mes draps,
Et j’entendis ces mots d’une voix languissante;
Belle et chaste Amerine, homicide innocente,
Pardonnez vostre mort au meurtrier innocent
Que vostre oeil abusé prit pour un autre absent.
Lors ce triste fantosme en gemissant s’envole,
Se perdant parmy l’air avecque sa parole :
Je m’esveille en sursaut, et je resve depuis
Au songe extravagant qu’expliquer je ne puis.

LA MERE.
De vray ce songe affreux est estrange et fantasque,
Mais quelque evenement que sa feinte nous masque
Ce n’est point aux mortels à s’en entretenir,
En voulant penetrer l’obscur de l’advenir,
C’est un livre fermé que le sort se reserve,
Et que ne pourroit lire en ma place Minerve.
Recourons donc au Ciel, priant d’un coeur ardent
Qu’il vueille destourner tout funeste accident.

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