André Mareschal

La Chrysolite ou le Secret des romans

France   1634

Genre de texte
Roman

Contexte
Le rêve se situe dans le troisième livre du roman qui en compte quatre.

Chrysolite, fille de Mironte, et Clytiman sont amoureux. Mais Chrysolite n’arrive pas à se décider et entretient l’espoir d’autres prétendants, dont Validor. Elle se sert de mensonges, dont les rêves qu’elle invente ici, pour manipuler Clytiman. Dans ce passage qui a lieu dans la troisième partie du récit qui en compte quatre, Clytiman se rend peu à peu compte de l’hypocrisie de sa bien-aimée.

Texte original

Texte témoin
Paris : A. de Sommaville, 1634, p. 347-350.




Rêves de Chrysolite

Elle lui «abandonne» sa main

Mais auparavant que d’en venir là, sa prévoyance cherchait de la sûreté, se plaignant à lui des empêchements que le destin avait fait naître à leur amour, par le funeste trépas de Mironte, et tâchant de remettre le tout sur une fatalité, qu’elle tirait de quelques songes qu’elle même inventait, et dont elle lui faisait le récit : comme s’ils eussent été véritables. Entre autres, elle lui en compta deux, les plus plaisants du monde, dont l’un était : qu’étant tous deux dans le milieu du temple d’Hyménée prêts à se donner la main, et confirmer le vœu qu’ils avoient fait de s’aimer éternellement, elle avait songé qu’elle voyait un homme couvert de noir, qui la tirait par force, et que sa main demeurait dans celle de Clytiman.

Considérons ici l’artifice de cette fille, qui voulait rapporter à un songe ce qu’elle avait envie de faire arriver, et qui dressait déjà ses pensées à un autre sénateur de l’aréopage, appelé Validor, qu’elle avait en l’esprit, comme étant celui qu’elle avait choisi pour opposer à Clytiman, et qui pour lors était vêtu de deuil, ainsi qu’elle l’avait décrit. Clytiman ne se fût jamais défié de cet homme qui lui était fort ami, pour être tous deux du même sénat, d’un même pays, d’une même ville, il ne prit que l’écorce de ce songe; bien que, se mettant à en expliquer le sens à Chrysolite, il crût avoir trouvé ce qui était. Il lui dit que par la figure de l’homme vêtu de noir, était représenté l’empêchement que le trépas de Mironte avait apporté à leur amour : que sa belle main qui contre tout l’effort de l’autre était demeurée dans la sienne, signifiait sa foi, et sa promesse qui devait surmonter les rigueurs de ses parents, et la lui conserver malgré toutes leurs mauvaises intentions : qu’au reste il ne fallait point donner de créance aux songes, qui sont souvent plus menteurs qu’ils ne sont extravagants. Elle le savait mieux que lui, combien qu’une apparence de simplesse dont elle couvrait son artifice, lui donnât à croire que non : elle ne s’arrêta pas là; pour donner plus de vertu à ce premier songe, elle fit songer sa cousine qui n’y songeait point; et dit le jour suivant à Clytiman que sa parente les avait vus en songe tous deux au même temple d’Hyménée, qui se mettaient chacun une bague de paille au doigt. Encore que Clytiman ne fît que rire de tout ceci, si est-ce qu’il en fut touché aucunement : l’autre songe lui étant comme un présage de l’opiniâtre résolution des parents de Chrysolite, ne lui avait pas laissé grande satisfaction, et ce dernier valait encore moins que le premier. Mais parmi le récit de ces diverses rêveries, ayant ouï Chrysolite qui mêlait quelquefois les appréhensions qu’elle disait avoir qu’on la forçât à quelque autre parti, dont le ciel même lui donnait des avertissements : il fût assez subtil pour connaître qu’il y avait de l’artifice en tous ces petits comptes, qu’elle ne lui faisait pas sans quelque dessein.

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