François Tristan L’Hermite

La Mariane

France   1637

Genre de texte
Théâtre (vers)

Contexte
Le rêve se situe à la troisième scène de l’acte premier.

Dans la première scène de la pièce, Hérode, roi de Judée et époux de Marianne, se réveille en sursaut suite à un cauchemar. Phérore, son frère, tente de le convaincre que les rêves sont mensongers avant qu’arrive Salomé, leur sœur. Hérode leur raconte son cauchemar. Le rêve semble annoncer les épreuves et défaites que vivra le roi et les multiples morts qui s’ensuivront, et évoque la mort d’Aristobule, le frère de Marianne, que le roi a fait noyer par jalousie. Hérode tente par la suite de se convaincre qu’il n’a pas d’ennemis et que de tels événements ne pourraient se produire.

Texte original

Texte témoin
Ed. J. Madeleine, Paris : Hachette, 1917, p. 21-25.




Songe d’Hérode

Le cadavre d’Aristobule

SALOMÉ.
Vous plait-il que j’entende aussi cette aventure,
Qui n’est à bien parler qu’une vaine peinture,
Qu’un Énigme confus sur le sable tracé?

HERODE.
Ne m’interromps donc pas quand j’aurai commencé.
La lumière et le bruit s’épandaient par le monde :
Et lorsque le Soleil qui se lève de l’onde
Élevant au cerveau de légères vapeurs,
Rend les songes qu’on fait plus clairs et moins trompeurs :
Après mille embarras d’espèces incertaines,
De rencontres sans suite et de chimères vaines,
Je me suis trouvé seul dans un bois écarté,
Où l’horreur habitait avec l’obscurité,
Lorsqu’une voix plaintive a percé les ténèbres.
Appelant MARIANE, avec des tons funèbres.
J’ai couru vers le lieu d’où le bruit s’épandait,
Suivant dans ce transport l’Amour qui me guidait,
Et qui semblait encore m’avoir prêté ses ailes,
Pour atteindre plutôt ce miracle des Belles.
Mes pas m’ont amené sur le bord d’un étang,
Dont j’ai trouvé les eaux toutes rouges de sang;
Il est tombé dessus un éclat de tonnerre;
J’ai senti sous mes pieds un tremblement de terre,
Et dessus ce rivage, environné d’effroi,
Le jeune Aristobule a paru devant moi.

SALOMÉ.
Ô Cieux! je serais morte étant en votre place;
Le sang à ce récit dans mes veines se glace.

PHERORE.
Je sens la même horreur dans mes os se couler.

HERODE.
Écoutez donc le reste, et me laissez parler;
Il n’avait point ici la Tiare à la tête
Comme aux jours solennels de notre grande fête,
Où tirant trop d’éclat d’un riche vêtement,
Il obligeait les Juifs à dire hautement,
Qu’une si glorieuse et si noble personne
Méritait de porter la Myrte et la Couronne.
Je ne l’ai reconnu qu’à la voix seulement;
Il semblait retiré de l’onde fraîchement,
Son corps était enflé de l’eau qu’il avait bue,
Ses cheveux tout mouillés lui tombaient sur la vue,
Les flots avaient éteint la clarté de ses yeux,
Qui s’étaient en mourant tournés devers les Cieux;
Il semblait que l’effort d’une cruelle rage
Avait laissé l’horreur peinte sur son visage,
Et que de sang meurtri tout son teint se couvrît,
Et sa bouche était morte encore qu’elle s’ouvrît.
Ses propos dès l’abord ont été des injures,
Des reproches sanglants : mais tous pleins d’impostures.
Il a fait contre moi mille imprécations,
Il m’est venu charger de malédictions,
M’a parlé de rigueurs sur son père exercées,
M’imputant tous les maux de nos guerres passées :
Bref voyant qu’il osait ainsi s’émanciper,
À la fin j’ai levé le bras pour le frapper :
Mais pensant de la main repousser cet outrage,
Je n’ai trouvé que l’air au lieu de son visage :
Ainsi de violence, et d’horreur travaillé,
Avec un cri fort haut, je me suis éveillé.
Voilà quel est mon songe : et bien que vous en semble,
Salomé, qu’en dis-tu?

SALOMÉ.
Moi? Je dis que j’en tremble.

PHERORE.
Je ne cèlerai pas que j’en suis effrayé.

SALOMÉ.
C’est quelque avis du Ciel qui vous est envoyé.

HERODE.
L’avis à déchiffrer est si fort difficile
Qu’il n’eût pû m’obliger d’un soin plus inutile.

SALOMÉ.
L’État, d’un changement peut être menacé.

HERODE.
Ce qu’écrit le Destin ne peut être effacé.
Il faut bon gré, mal gré, que l’âme résolue
Suive ce qu’a marqué sa puissance absolue :
De ses pièges secrets on ne peut s’affranchir,
Nous y courons plus droit en pensant les gauchir.
L’homme à qui la Fortune a fait des avantages,
Est comme le vaisseau sauvé de cent orages;
Qui sujet toutefois aux caprices du sort,
Peut se perdre à la rade, ou périr dans le port.
Mais qui me peut choquer? et qu’ai-je plus à craindre
Au faîte du bonheur où l’on me voit atteindre?
Rien n’est assez puissant pour me perdre aujourd’hui,
Si le Ciel en tombant ne m’accable sous lui :
Je ne puis succomber que par une aventure
Dont le coup soit fatal à toute la Nature.

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