Antonin Artaud

« Textes surréalistes »

France   1925

Genre de texte
récit

Contexte
Ce texte faisait partie des rêves publiés dans la Révolution surréaliste (no 3, 15 avril 1925). Source : Œuvres complètes, p. 437-438.

Texte témoin
Œuvres complètes, Paris : Gallimard, 1972, p. 331-334.




Un rêve d'envol

Fantasmes érotiques

RÊVE

I

C'était un cinématographe aérien. Du haut d'un aéroplane immuable on cinématographiait l'envol d'une mécanique précise qui savait ce qu'elle faisait. L'air était plein d'un ronron lapidaire comme la lumière qui l'emplissait. Mais le phare parfois ratait l'appareil.

A la fin, nous ne fûmes plus que deux ou trois sur les ailes de la machine. L'aéroplane pendait au ciel. Je me sentais dans un équilibre odieux. Mais comme la mécanique se renversait, il nous fallut faire un tour dans le vide en nous rétablissant sur des anneaux. A la fin l'opération réussit, mais mes amis étaient partis; il ne restait plus que les mécaniciens ajusteurs qui faisaient tourner leurs vilebrequins dans le vide.

A cet instant, un des deux fils cassa :

– Arrêtez les travaux, leur criai-je, je tombe!

Nous étions à cinq cents mètres du sol.

– Patience, me répondit-on, vous êtes né pour tomber.

Il nous fallait éviter de marcher sur les ailes de la machine. Je les sentais pourtant résistantes sous moi.

– C'est que si je tombe, hurlai-je, je savais bien que je ne sais pas voler.

Et je sentis que tout craquait.

Un cri : Envoyez les « lancets »!

Et immédiatement j'imaginai mes jambes saisies par le coup de rasoir du lasso, l'aéroplane quitter mes pieds, et moi suspendu dans le vide, les pieds au plafond.

Je ne sus jamais si c'était arrivé.

II

Et immédiatement, j'en arrivai à la cérémonie matrimoniale attendue. C'était un mariage où on ne mariait que des vierges, mais il y avait aussi des actrices, des prostituées; et pour arriver à la vierge, il fallait passer un petit fleuve, un cours d'eau hérissé de joncs. Or les maris se renfermaient avec les vierges et les entreprenaient immédiatement.

Une entre autres, plus vierge que les autres, avait une robe à carreaux clairs, des cheveux frisés. Elle fut possédée par un acteur connu. Elle était petite et assez forte. Je regrettai qu’elle ne m'aimât pas.

La chambre dans laquelle on la mit avait une porte qui fermait mal, et à travers la fente de la porte j'assistai à son abandon. J'étais d'ailleurs assez loin de la fente, mais de tous les gens qui étaient dans la salle nul autre que moi ne s'occupait de ce qui se passait dans la chambre. Je la voyais déjà nue et debout, et j'admirais comment son impudeur était enveloppée de fraîcheur et d'une espèce de décision résolue. Elle sentait très bien son sexe, mais comme une chose absolument naturelle et normale à ce moment-là : elle était avec un jeune mari. Et donc nous la poursuivîmes en bateau.

III

Nous étions trois en robe de moine, et comme suite à la robe de moine, Max Jacob arriva en petit manteau. Il voulait me réconcilier avec la vie, avec la vie ou avec lui-même, et je sentais en avant de moi la masse morte de ses raisons.

Auparavant, nous avions traqué quelques femmes. Nous les possédions sur des tables, au coin des chaises, dans les escaliers, et l'une d'elles était ma sœur.

Les murs étaient noirs, les portes s'y découpaient nettement, et laissaient percer des éclairages de caveaux. Le décor tout entier était une analogie volontaire et créée. Ma sœur était couchée sur une table, elle était déjà grosse et avait beaucoup de manteaux. Mais elle était sur un autre plan que moi-même dans un autre milieu.

Il y avait des tables et des portes lucides, des escaliers. Je sentis que tout cela était laid. Et nous avions mis des robes longues pour masquer notre péché.

Or ma mère arriva en costume d'abbesse. Je redoutai qu’elle n’arrivât. Mais le manteau court de Max Jacob démontrait qu’il n’y avait plus rien à cacher.

Il y avait deux manteaux, l’un vert et l’autre jaune, et le vert était plus long que le jaune. Ils apparurent successivement. Nous compulsâmes nos papiers.

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