Une balle en caoutchouc

Rêve. Une grande maison, qui évoque moins une prison qu'une demeure en plein déménagement, à moitié vide; nous y sommes néanmoins des prisonniers, en foule. Certains marchent à notre rencontre, les yeux battus, le visage non pas terrifié ou blessé, mais marqué par quelque déformation indistincte; on sait que ce sont ceux qui « en reviennent ». Plus tard, nous voici groupés dans de vastes pièces, à attendre; quand une porte s'ouvre, il faut se cacher où on peut, derrière des caisses par exemple, parce qu'il est toujours possible que quelqu'un tire. Je vois, à l'autre bout de la pièce, qu'on arrache sa montre à A.-M., après l'avoir fait à d'autres, et qu’on lui fait mal en l'arrachant. Puis l'homme (un homme quelconque, sans uniforme) s'approche de moi (à moins que ce ne soit un autre), consulte un carnet où il constate, avec un plaisir méchant, que quelque chose est noté (je vois moi aussi la page, et le sigle); il s'agit du fait que je possède une balle de cette sorte de caoutchouc extrêmement dur qui lui permet de rebondir presque indéfiniment (un jouet qui a été à la mode quelque temps et avec lequel hier encore mon fils jouait ici) – ce qui semble être, aux yeux du « gardien », l'équivalent de la détention d'une arme interdite; en tout cas, pour moi, une circonstance aggravante; d'où mon angoisse. Et je me vois, je m'entends lui dire, suppliant, plaçant dans ces quelques mots mon dernier espoir, comme il quitte la pièce : « Vous n'avez pas d'enfants ? », sous-entendu : « avec qui, comme moi, vous auriez pu jouer ainsi »; et comprendre aussitôt, à son mutisme, qu'il n'en a pas – qu'il n’y a donc aucun espoir. Tous les prisonniers du rêve étaient mal vêtus, et montraient le visage fatigué et morne qu'on voit souvent aux foules de l'Est.

Voilà ce qu'il y a dans nos nuits, de quoi elles peuvent être faites. Réveillé par un bruit de sirène insolite qui se prolonge très longtemps – comme pour annoncer un accident cosmique – vers cinq heures trente.