Henri Michaux
La nuit remue Genre de texte Contexte Texte témoin
prose
Le récit se situe dans la section qui s’intitule « Le sportif au lit ».
Gallimard, 1935, p.20-29.
Le cheval
A la sortie de la gare, il n’y avait ni ville ni village, mais simplement une sorte de carré de terre battue face à la campagne, et aux terres en jachères. Au milieu de ce carré un cheval. Un énorme cheval brabançon avec de grosses touffes de poil aux pieds, et qui semblait attendre. Sur ses pattes, comme une maison sur ses quatre murs. Il portait une selle de bois. Enfin il tourna la tête légèrement, oh ! très légèrement.
Je montai me retenant à la crinière fournie. Ce cheval si pesant arriva tout de même à détacher une patte du sol, puis l’autre et se mit en marche lentement, majestueusement, et semblant penser à autre chose.
Mais une fois la petite cour franchie, mis sans doute en confiance par l’absence de tout chemin, il s’adonna à sa nature qui était toute d’allégresse. Il fut évident aussi que les mouvements de ses pattes manquaient absolument de coordination.
Parfois le cheval pivotant sur lui-même rebroussait chemin pour suivre un alignement de cailloux ou sauter par-dessus quelques fleurs, puis, peut-être gêné par la réputation qu’on eût pu lui faire d’après cela, il avisait un buisson bien haut, flairait, inspectait les lieux, s’éloignait en quelques bonds revenait à toute allure et en général butait « pile » sur l’obstacle. Certes il aurait pu bien sauter mais c’était un nerveux.
Après deux heures de pas et de trot, il n’y avait toujours aucune ferme en vue.
Comme la nuit tombait, nous fûmes entourés d’une infinité de petites juments.