Yves Velan

Je : Roman

Suisse   1959

Genre de texte
Roman

Contexte
Le rêve se situe dans le dernier quart du roman.

Jean-Luc, pasteur de Nyon, est convaincu qu’il est disgracié et coupable d’une faute. Alors qu’on l’accuse de fréquenter des prostituées, il est obsédé par le péché de chair. Ses obsessions sont révélées dans ce rêve.

Morier est un ami, Dovat, un autre pasteur de Nyon, et Bovet, un notable de Nyon et délateur de police.

Notes
Le récit du rêve se confond ici avec le monologue intérieur du narrateur.

Texte témoin
Paris : Editions du Seuil, 1959, p. 242-244.




Rêve d’un pasteur

L’obsession de la chair

Si j’ai peur, c’est parce que je suis nu. II faut me cacher. Voici la mollasse froide usée, le temple. Asile pour l’homme du Seigneur. Pourtant j’en ai fait trois fois le tour sans trouver la porte. Ma peau se râpe à la mollasse usée. Usée, la camisole se recroqueville. Découvrant ma nudité. Qu’ils voient. Mes mains ne suffisent pas à le couvrir. Jambes à mouvoir. Puisque j’ai le dos contre la cure. Et que les murs alentour sont leurs regards braqués sur moi. En une rue qui finit sur un vide où tous me voient nu. Contre un gris sans encoignure. Il faut. Il faut. Je rêvais. Le même, à nouveau. Il fait jour. Ils me voient paresser. Mais puisque. Me rappeler que je empoisonné par le rêve. C’est pourquoi j’ai peur. II pleut. Non, la pluie gris vert. Civile, bienfaisante. D’abord j’ai peur. Les yeux déjà refermés. Temps gris. Peut-être les rideaux. En m’habillant j’éviterai le scandale. Puisqu’ils sont sur la chaise, à portée de la main. Mon dos contre la mollasse tiède. Ouvrir les yeux. Sinon je suis dégluti par le rêve, le grand déglutisseur. Qui transforme les draps en mollasse. Puisque je pense je ne rêve plus. Que doit-il m’arriver. Je bâille, autre preuve. Soleil qu’il fait. Mais le gris. Parce que je dormais. M’ont-ils rideaux entrouverts. J’habite trop haut. Ils devraient grimper sur les arbres. Et j’ai un pyjama. Rêve. Je vois que c’est un rêve, donc je suis éveillé. Donc je n’ai pas de raisons d’avoir peur. Quelque chose. J’ai eu peur parce que je suis nu, et je me suis caché. Et l’Eternel Dieu dit : Qui t’a appris que tu es nu ? Est-ce que tu as mangé de l’arbre ? Je n’ai rien fait. Né dans le péché. Mais Il est juste. Quelque chose me guette. Instinct. De ce qui va tomber. C’est la peur de la rentrée. Elle paraissait finie. Après trois jours. Où se prolonge l’effet du rêve. Je ne me suis pas découvert. Il y a même un mois que je ne me suis. Renaître du gris vert. A quelque chose malheur est bon. La ville ne semble pas resserrée. Marie, quel remords a été le mien. Mais j’étais cloué là-bas. Elle n’a pas l’air de m’en vouloir. – Je l’ai veillé six nuits de suite. Trente-sept kilos. C’était tout de même mon mari. – Mais non Philippe Eux ne m’ont pas percé à jour il n’y a pas de mal à ressentir une espèce de soulagement. Trop gentil. La peur de la rentrée. Avec Marie Philippe je peux l’être. Je le dois. Les absents ont toujours tort. Mais puisque ce n’est pas. Enfin j’ai peur. Quelque chose va tomber. Voilà, je m’étrécis en mon centre. Le goût d’acier en monte vers la bouche. Le souffle est arythmique. Quelque chose commande. C’est nerveux. Je dois lutter. Mon Dieu, puisque je ne vois rien de précis, je veux dire puisque apparemment je n’ai rien ajouté à la DISGRÂCE, Eternel délivre mon âme tel le Psalmiste, « comme un songe au réveil repousse leur image ». Je vais me raisonner. Pourquoi. De quoi ai-je peur ? Voici que recommence à se contracter l’épigastre, à moins qu’il ne s’agisse du diaphragme, du neuro-végétatif pas sympathique. Or je n’ai rien fait de particulier. Pourtant quelque chose est imminent. Une planète molle. C’est moi qui la crée. Parce que j’ai peur. Pour rien. Si ce n’est pas elle qui produit ma peur. Quelque chose va se décrocher. Il faut que le scandale arrive. Attentat à la pudeur. Je le montre en pleine rue. Ils me voient. Amené à faire une fausse manÅ“uvre. Un jour ou l’autre. Me surveiller. Morier. Je n’irai pas chez lui tantôt. Chez Dovat pour me rassurer. Alors je deviens trop gentil. Bovet. Je leur cède sur des points essentiels. Bien ouverts cette fois. Réveillé par crans. C’est le soleil. Idiot qu’ils puissent me voir. Beaucoup trop haut. Même si c’est le premier étage. Patricien. Ne pas voir Morier. Né de la peur. Rêve. Où on raisonne faussement juste. Ce qu’on sait. En espérant y échapper. J’attends le cran qui suit. Réveillé à présent. Rêve réveil. Que devrait-il m’arriver ? Puisque je n’ai rien fait. M’habiller. Madame Crétenet va venir, il est huit heures. Sors une jambe. Paresse bon signe. Eux travaillent. Ça t’a mis debout, hein. Au fond Morier. Je fais souvent ce rêve. Motus. Et puis quoi. Il faut que le scandale arrive. Epargne-le-moi encore quelque temps, veuille me l’envoyer dans un moment où j’ai le goût du martyre. Dans ce cas, je peux le tourner à Sa gloire. Impossible. C’est soleil la bise. Heureusement gilet chaud. Ça va mieux. Peur du demi-sommeil. Presque dissipée. Morier. Attendons. Un peu. Est-ce que le lac [...]

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