Simon Tyssot de Patot

Voyages et avantures de Jaques Massé

France   1710

Genre de texte
prose, récit de voyage

Contexte
Le rêve se trouve au chapitre 5 intitulé « Suite des avantures de l’auteur et de ses camarades, jusqu’à leur entrée dans un pays habité ». Le texte comprend 16 chapitres.

Le navire sur lequel Jaques Massé, jeune chirurgien en formation, est embarqué fait naufrage sur une côte inconnue. Avec ses compagnons de voyage, il entreprend l’exploration du pays.

Texte original

Texte témoin
Bourdeaux [La Haye], Jaques l’aveugle, 1760, p. 109-110.




Un songe inventé

Comment «faire marcher» ses compagnons

Nous n’eûmes pas fait une demi lieue que nous rentrâmes dans un bois aussi épais que les précédents, mais que nous eûmes percé en moins de deux heures. Ce fût-là où nous nous vîmes arrêtés tout d’un coup par des rochers qui n’avaient non plus de talus qu’une muraille. Cette nouvelle barrière causa aussi de nouvelles disputes entre nous : mes camarades murmuraient extrêmement,et moi je les encourageais à mon ordinaire. Il fallut même que j’en vinsse jusqu’à leur assurer, qu’au lieu que mes idées étaient ordinairement si embrouillées et si mal suivies pendant le sommeil, que je voyais rarement le dénouement de mes songes, j’en avais eu un la nuit précédente, dont l’enchaînement et les circonstances étaient si particulières, qu’il devait infailliblement nous augurer quelque chose de fort avantageux : et là-dessus j’inventai sur le champ quelques fictions, qui, quoique peut-être assez mal concertées, ne laissèrent pas de faire tout l’effet que j’en attendais.

Sur le matin, leur dis-je, et environ une heure avant le lever du soleil, il m’a semblé entendre une voix bruyante comme un tonnerre, qui m’a dit : «que fais-tu-là, mon enfant ? Lève-toi, marche, ta délivrance est prochaine». En même temps s’est présentée devant moi une jeune fille, en vêtements blancs, ayant les cheveux pendants et éparpillés sur les épaules, la face riante, les jambes découvertes jusques au-dessous du genou, et tenant en ses mains un corbillon d’osier fin, artistement entrelacé de toutes sortes de fleurs odorantes, et rempli de fruits rares et délicieux, dont elle nous a invités de manger. A ma gauche, il y avait un champ tout couvert de gerbes du plus beau froment que la terre porte ; et à ma droite, un arbre, au tronc duquel il y avait une ouverture, dont sortait avec impétuosité une liqueur claire et vermeille, qui embaumait par son odeur. Je me suis retourné pour voir ce qu’il y avait dernière moi, mais apercevant un monstre épouvantable, tout hérissé d’épines et de chardons, j’en ai été tellement saisi d’horreur, qu’encore qu’il me tournât le dos, je n’ai pas laissé de m’éveiller en sursaut.

A ce songe j’ajoutai une favorable explication, qui ne contribua pas peu à nous donner de bonnes jambes.

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