Florent Carton Dancourt

Le Prix de l’arquebuse

France   1717

Genre de texte
prose, théâtre, comédie

Contexte
Le rêve se trouve à la scène V de cette comédie en un acte qui compte 21 scènes.

M. Martin organise un concours de tir à l’arquebuse pour souligner son avènement à la prévôté. Le gagnant aura l’honneur de choisir la fille qu’il veut épouser. Mlle Giraut, sœur de M. Martin, est certaine que le vainqueur la choisira, car elle l’a vu en rêve.

Texte témoin
Éd. par André Blanc, Paris, S.T.F.M., 1989, p. 262-266.




Le rêve de Mlle Giraut

Les rêves allégoriques d’une jeune fille

M. MARTIN
Hé bien, cette nuit, ma soeur ?

Mlle GIRAUT
J’ai fait le plus joli rêve, j’ai vu les choses les plus gracieuses...

M. MARTIN
Je me donne au diable, vous rêvez encore, ma soeur : allez-vous en achever votre songe, et puis nous en verrons la suite

Mlle GIRAUT
Oh ! le songe est fini, et la suite certaine.

M. MARTIN
Grand bien vous fasse !

Mlle GIRAUT
Ah ! mon frère, je voudrais veiller toute ma vie comme j’ai dormi toute la nuit.

M. MARTIN
Que diantre, ma soeur, finissez donc, vous dites là des sottises, et vous me feriez penser des choses...

Mlle GIRAUT
Il n’y a point là de sottises, mon frère, rien n’est plus sérieux ; et je veux bien que vous sachiez que je ne fais que des songes fort modestes.

M. MARTIN
Dites-moi donc ce que c’est que ce songe. Il faut que j’aie belle patience !

Mlle GIRAUT
Laissez-moi reprendre mes esprits. Le voici, mon frère. Vous connaissez l’Amour, ce petit Archerot ?

M. MARTIN
Je le connais, je le connais ; nous n’avons pas grand commerce ensemble.

Mlle GIRAUT
C’est le plus habile tireur et sans contredit le meilleur arquebusier qu’il y ait au monde.

M. MARTIN
Quel galimatias me faites-vous ?

Mlle GIRAUT
C’est lui qui emportera le prix, et je l’aurai, moi, il m’est destiné, je vous en assure.

M. MARTIN
Elle a tout à fait perdu l’esprit.

Mlle GIRAUT
Je l’ai vu cette nuit, ce charmant petit dieu ; il planait dans les airs, il volait à la tête de toutes les brigades des Chevaliers de l’Arquebuse, et les conduisait dans un petit bois écarté, où je rêvais à l’ombre. Il a tiré de son carquois une flèche dorée, qu’il m’a lancée tout droit au coeur ; et, comme si c’eût été le signal, ou plutôt un avis aux Chevaliers de l’objet où leurs traits devaient s’adresser, je les ai tous vus me coucher en joue, le feu prendre, leurs coups partir, et je m’en suis trouvée toute criblée.

M. MARTIN
La malepeste, ma soeur, vous avez essuyé là une furieuse escopetterie !

Mlle GIRAUT
Cela ne m’a pas fait le moindre mal, le croiriez-vous ?

M. MARTIN
Il faut que vous soyez invulnérable.

Mlle GIRAUT
Les seuls traits d’amour m’ont percée :
Mais entre nous
Ses coups sont doux,
Ses tourments
Charmants.
On n’en est jamais offensée,
Et je voudrais avoir à tous moments
Le plaisir d’en être blessée.

M. MARTIN
Ô la folle, Ô la folle !

Mlle GIRAUT
Pas tant, mon frère. Vous traitez mon songe de songe,
Il deviendra réalité ;
Songe d’amour n’est point mensonge,
Le mien sera bientôt parfaite vérité.

M. MARTIN
Je le souhaite, ma soeur ; et pour ne point gâter la douceur de vos idées par l’amertume de mes réflexions, je vous donne le bonjour, et vous laisse la liberté de vous entretenir avec vos chimères.

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