Marcel Jouhandeau
Essai sur moi-même Genre de texte Texte témoin
Essai autobiographique
Essai sur moi-même, Paris : Gallimard, 1947, p. 106-7.
La chaise de la cuisine
5) J’entre dans l’église de Chaminadour pendant l’office, et quelqu’un murmure : «— Qu’est-ce que c’est encore que ça? On les verra toutes». Mais je m’avance quand même vers le chœur, comme si je me bravais moi-même. Non loin du banc de communion, sous les yeux de Mgr Diverneresse, je reconnais la chaise qui m’était réservée pour celle que j’ai coutume d’occuper dans la cuisine de ma mère. Ainsi, cette église qui n’est qu’un rêve est plus vraie que le réel. Tour à tour, chacun prend place dans une église blanchie à la chaux sous les yeux de l’Archiprêtre de son enfance, comme de Dieu-le-Père, et sur un siège familier s’assoit pour être jugé. Pour moi, j’entends toujours Mgr Diverneresse maugréer sous cape, en me considérant des pieds à la tête : — «Ce J. ! Est-ce qu’on sait ce que «cela» couve ? l’Enfer peut-être ?». Et j’aurais bien voulu tomber sur ma face pour échapper à son regard, mais comme je demeurai le buste droit, incapable de faire un mouvement, une femme belle et opulente, vêtue de dentelles noires, se lève de la Table Sainte où elle venait de communier et elle s’approche de moi, pour me rendre témoignage, en m’embrassant, comme pardonné. Mme Remy ou Mme Alban ?