Marcel Raymond

Par delà les eaux sombres

Suisse   1975

Genre de texte
témoignage

Texte témoin
Lausanne : Éditions L’Age d’homme, 1975, p. 33.




Rêve dans un hôpital

Un langage inconnu

Cette fois encore, il faisait nuit. Mais étais-je présent ? Etais-je moi ? Ma conscience était devenue un voile, un témoin évanescent privé d’identité. La toute présence était dévolue à Raymonde Vincent (mais était-ce elle ?). Elle parlait, elle parlait avec une volubilité incroyable. C’est une diatribe qu’elle proférait, à l’adresse de la comtesse Keyserling, pour réfuter ce qu’avait publié le comte sur la mentalité des peuples. Mais peut-être obéissait-elle aux ordres de Béguin. La comtesse n’apparut qu’un instant, pour acquiescer craintivement. J’aimerais tant savoir si ce langage qui m’arrivait sans une hésitation, sans une bavure, comme l’équivalent d’une écriture automatique, et qui avait pour moi un sens, mais que je n’ai pu retenir, n’était qu’un leurre, une sorte d’illusoire phosphorescence, ou si une zone profonde de mon psychisme (mais encore une fois s’agissait-il de moi ?) était en travail, et « raisonnait » à sa manière, vertigineusement, en quelque sorte à mon insu. Plus tard dans la nuit, je fus réveillé par les paroles un peu pressantes et par les rires de deux jeunes gens d’une vingtaine d’années, qui occupaient la chambre voisine de la mienne, et qui venaient pour la première fois de caresser des femmes. De ce qu’ils disaient, je ne saisissais pas le détail, mais seulement l’accent effarouché et impudique de la découverte.

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