Robertson Davies

The Manticore

Canada   1972

Genre de texte
roman

Contexte
Ce rĂŞve occupe les derniers paragraphes du roman.

Lors de ce rêve-vision, David marchait avec Ramsay, un vieil ami de son père, aux environs du château de leur amie Liesl. Le château s’appelle Sorgenfrei. David a fini la première partie de son analyse psychanalytique avec le Docteur von Haller à la clinique jungienne de Zurich. Il doit décider maintenant s’il va suivre la femme fascinante et mystérieuse qui s’appelle Liesl, avec qui il vient de vivre une sorte de naissance symbolique en rampant dans un étroit boyau menant à une caverne et ensuite en regagnant péniblement la sortie. Liesl déclare à David qu’elle l’aimera s’il choisit de rester avec elle au lieu de continuer l’analyse avec Johanna von Haller. Le choix de David ne sera pas donné explicitement.

Notes
La gitane dont il est question est déjà mentionnée à la fiche précédente. Elle est apparue pour la première fois à la fiche 810. De même, la phrase «Chaque pays a les étrangers qu’il mérite» vient de ce premier rêve. Cela semble indiquer que David prendra la décision de rester en Suisse, décision enracinée dans un rêve auquel il choisit d'attribuer une valeur prémonitoire.

Texte original

Texte témoin
Le lion avait un visage d’homme, trad. Claire Martin, Montréal : Tisseyre, 1978, p. 322-333.

The Manticore, Toronto : Penguin Books, 1996, p. 272-273.




RĂŞve ou vision?

Un visage indistinct

Nous sommes retournés vers Sorgenfrei dans un silence amical. Je pensais au rêve que j’avais fait pendant la nuit précédant ma rencontre avec le docteur von Haller. Il était merveilleusement clair dans ma mémoire. J’avais quitté ma vie renfermée, ordonnée, respectée. Oui. Et je m’étais aventuré dans une région inconnue, où l’on faisait des fouilles archéologiques. Oui. J’avais tenté de descendre l’escalier en colimaçon dans l'étrange et trompeuse hutte — si misérable à l’extérieur et si riche à l’intérieur — et mon désir avait été contrarié par des êtres insignifiants qui se conduisaient comme si je n’avais rien à faire là. Oui. Mais pendant que j’y pensais, le rêve changeait. Les deux jeunes hommes n’étaient plus au haut de l’escalier et j’étais libre de descendre si je le voulais. Et je le voulais, car je sentais qu’il y avait un trésor en-bas. J’étais au comble du bonheur et je sentais que c’était ce que je désirais le plus au monde.

Je marchais avec Ramsay, j’étais bien conscient de tout autour de moi, et pourtant c’était ce rĂŞve qui Ă©tait le plus rĂ©el pour moi. L’étrange femme, la gitane qui parlait de façon si irrĂ©sistible, mais si incomprĂ©hensible … oĂą Ă©tait-elle ? Dans mon rĂŞve Ă©veillĂ©, je regardai par la porte de la cabane. Elle Ă©tait lĂ . Elle marchait vers moi, pour me rejoindre, je le savais. Qui Ă©tait-elle ? « Chaque pays a les Ă©trangers qu’il mĂ©rite. » Les paroles qui m’avaient paru si folles persistaient dans mon esprit. Elles signifiaient quelque chose de plus important que ce que je pouvais comprendre et je m’efforçais de trouver une explication. Étais-je en train de descendre l’escalier pour aller vers une terre Ă©trangère ? Allais-je, donc, ĂŞtre lĂ -bas un Ă©tranger ? Mais comment pourrais-je ĂŞtre un Ă©tranger lĂ  oĂą Ă©tait mon trĂ©sor? J'Ă©tais nĂ© lĂ , assurĂ©ment, quelque longtemps que j’en aie Ă©tĂ© absent.

Sur le sol inégal, la femme arrivait d’un pas léger. Plus près, encore plus près, mais je ne pouvais distinguer si c’était le visage de Liesl ou celui de Johanna.

Ramsay parla et le rêve, ou la vision, ou quoi que ce fût, perdit son caractére inéluctable. Mais je sais que, pas plus tard que demain, je dois savoir quel visage porte cette femme et quelle femme me guidera vers ce trésor qui est le mien.

Page d'accueil

- +