Vladimir Nabokov

Lolita

États-Unis    1955

Genre de texte
roman

Contexte
Humbert Humbert est obsédé par l’adolescente nymphette Lolita. Il prend pension chez sa mère, Charlotte Haze et feint un attachement romantique envers elle afin de pouvoir s’approcher de sa fille. Il flirte avec Lolita dans la maison et voit dans la perspective d’une excursion au bord d’un lac une occasion de profiter de Lolita. L’excursion, toutefois, est reportée à plusieurs reprises.

Le rêve ne peut pas être mise en relation avec les événements de l’histoire et se moque de ceux et celles qui veulent lire trop de choses dans des récits de rêves, ainsi qu’en témoigne la référence au Dr Schwarzmann, une psychanalyste qui, plus tôt dans le récit, avait tenté de soumettre Humbert à l’analyse, ce qui avait suscité des paroles méprisantes de ce dernier.

Texte original

Texte témoin
Lolita, Paris: Gallimard, 2001, p. 93-4. Traduit de l’anglais par Maurice Couturier. Lolita, New York: G.P. Putnam’s Son’s, 1955, p. 55-56.




Rêve de Humbert (1)

Faire de l’équitation sans cheval

Même date, plus tard, beaucoup plus tard. J’ai allumé la lumière pour transcrire un rêve. Lequel avait un antécédent évident. Au cours du dîner, Haze avait proclamé d’un air bienveillant que, puisque la météorologie promettait un week-end ensoleillé, nous irions au lac dimanche après l’office. Une fois au lit, tandis que je m’abandonnais à des fantasmes érotiques avant d’essayer de m’endormir, je tramai un plan sans faille pour tirer profit du pique-nique à venir. Je savais pertinemment que la mère Haze détestait ma doucette qui avait le béguin pour moi. Je planifai donc cette journée au lac de manière à satisfaire la mère. J’allais parler à elle seule ; mais, au moment propice, je dirais que j’avais oublié ma montre-bracelet ou mes lunettes de soleil dans cette clairière là-bas — et plongerais dans les bois avec ma nymphette. Sur ces entrefaites, la réalité prit le large, et la Quête des Lunettes se mua en une gentille petite orgie avec une Lolita singulièrement experte, gaie, corrompue et complaisante, qui se conduisait – la raison ne le savait que trop — comme elle était incapable de se conduire normalement. À trois heures du matin, j’avalai un somnifère et bientôt, en un rêve qui n’était pas une suite mais une parodie de l’autre, je vis, avec une clarté éloquente, le lac auquel je n’avais encore jamais rendu visite : il était tout recouvert d’une couche vitreuse de glace émeraude, et un Esquimau au visage grêlé tentait vainement de la briser avec une pioche, en dépit du fait que des mimosas et des lauriers-roses d’importation fleurissaient sur les rives graveleuses. Je suis sûr que le docteur Blanche Schwarzmann m’aurait offert un sac de shillings pour pouvoir ajouter ce libidirêve à sa collection. Malheureusement, le reste se révéla franchement éclectique. La grosse Haze et la petite Haze faisaient de l’équitation autour du lac, et moi aussi qui allais bondissant docilement, à califourchon, jambes arquées bien qu’il n’y eût pas de cheval entre elles, seulement l’air élastique – une de ces petites omissions dues à la distraction du marchand de rêves.

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