Vladimir Nabokov

Lolita

États-Unis    1955

Genre de texte
roman

Contexte
Humbert Humbert est obsédé par l’adolescente nymphette Lolita. Après la mort accidentelle de la mère de Lolita, Humbert en a la garde et l’embarque dans un long périple à moto à travers les Etats-Unis, de motel en motel. Humbert en vient à soupçonner qu’ils sont suivis par un homme qui est soit un détective, soit un amoureux de Lolita. Toutefois, le lecteur en vient à se demander si le compte rendu de Humbert est fiable ou si c’est le produit de sa paranoïa. Lolita finit par disparaître, sans doute avec l’homme qui les suivait. Humbert ne peut se défaire de ses pensées obsédantes et de sa culpabilité.

Texte original

Texte témoin
Lolita, Paris: Gallimard, 2001, p. 377-8. Traduit de l’anglais par Maurice Couturier. Lolita, New York: G.P. Putnam’s Son’s, 1955, p. 256.




RĂŞve de Humbert (2)

Breloques viennoises

Si étrange que cela puisse paraître, je rêvais rarement sinon jamais à Lolita telle que je me la rappelais — telle que je me la représentais constamment, de manière obsédante, dans ma conscience éveillée durant mes cauchemars diurnes et mes insomnies. Soyons plus précis : elle hanta, certes, mon sommeil mais elle y apparaissait sous un déguisement ridicule, tantôt sous les traits de Valeria, tantôt sous ceux de Charlotte, ou comme un croisement des deux. Ce spectre complexe s’avançait vers moi, effeuillant ses combinaisons l’une après l’autre, dans une atmosphère de tristesse et de dégoût extrêmes, et s’étendait d’un air médiocrement séducteur sur quelque planche étroite ou quelque divan peu confortable, la chair béante comme la valve en caoutchouc d’une vessie de ballon de football. Et chaque fois je me retrouvais, dentier disloqué ou désespérément égaré, dans d’horribles chambres garnies où l’on me divertissait par d’ennuyeuses séances de vivisection qui s’achevaient toutes de la même façon : Charlotte ou Valeria pleuraient dans mes bras sanguinolents et je les embrassais tendrement de mes lèvres fraternelles dans un imbroglio onirique fait de breloques viennoises à l’encan, de pitié, d’impuissance et de perruques brunes appartenant à de vieilles femmes tragiques qui venaient d’être gazées.

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