Homère

L’Iliade

Grèce   -800

Genre de texte
épopée

Contexte
Ce passage survient à la fin de l’épopée, aux vers 59 à 107 du chant XXIII.
Les Achéens sont allés conquérir Troie sous prétexte de rendre à Ménélas sa femme, la belle Hélène, enlevée par Pâris, prince troyen, alors qu’il était l'hôte du roi Ménélas.
Achille, le héros des Grecs, pleure son ami Patrocle, tué la veille au combat par Hector, lequel tombera à son tour sous la lance d’Achille au cours de la journée. Alors que les funérailles sont prévues pour le lendemain, l’âme de Patrocle, privée de bon sens, ainsi qu’Homère croit que sont les âmes une fois trépassées, vient implorer Achille en rêve.

Notes
Achille : fils du mortel Pélée et de la déesse Thétis, roi de Phthie, il est de loin le meilleur combattant des Grecs.

Patrocle : meilleur ami d’Achille.

Hector : fils du roi Priam, et meilleur combattant parmi les Troyens.

Achéens : nom qu’Homère donne aux Grecs, qui vont sous le commandement d’Agamemnon, roi de Mycènes et d’Argos, conquérir Troie dans l’Iliade.

Texte original

Texte témoin
Homère, Iliade, trad. Paul Mazon, Coll. Budé, Les Belles Lettres, Paris, 1955, t. 4, p.99-101, XXIII, 59-107

Édition originale
Homer, Iliad, Site Perseus tel que vu le 20/12/04, basé sur Homer, Homeri Opera, Oxford, Oxford University Press, 1920 (5 volumes)




Rêve d’Achille

Le fantôme de Patrocle

Seul, le Péléide, étendu sur la rive où bruit la mer, sanglote lourdement, au milieu de nombreux Myrmidons, dans un endroit découvert, où le flot déferle au rivage. Enfin le sommeil le prend, donnant congé aux soucis de son cœur, épandant sa douceur sur lui : il a tant peiné dans ses membres illustres, quand il poussait Hector vers Ilion battue des vents! Et voici que vient à lui l’âme du malheureux Patrocle, en tout pareille au héros pour la taille, les beaux yeux, la voix, et son corps est vêtu des mêmes vêtements. Il se dresse au-dessus de son front, et il dit à Achille :

«Tu dors, et moi, tu m’as oublié, Achille! Tu avais souci du vivant, tu n’as plus souci du mort. Ensevelis-moi au plus vite, afin que je passe les portes d’Hadès. Des âmes sont là, qui m’écartent, m’éloignent, ombres de défunts. Elles m’interdisent de franchir le fleuve et de les rejoindre, et je suis là, à errer vainement à travers la demeure d’Hadès aux larges portes. Va, donne-moi ta main, je te le demande en pleurant. Je ne sortirai plus désormais de l’Hadès, quand vous m’aurez donné ma part de feu. Nous ne tiendrons plus conseil tous les deux, vivants, assis loin des nôtres : l’odieux trépas m’a englouti. Aussi bien était-ce mon lot dès le jour où je suis né. Et ton destin, à toi-même, Achille pareil aux dieux, n’est-il pas aussi de périr sous les murs des Troyens opulents? — Mais j’ai encore quelque chose à te dire, à te recommander : m’écouteras-tu? Ne place pas mes cendres loin des tiennes, Achille; mets-les ensemble au contraire : nous avons ensemble grandi dans votre maison, quand, tout jeune encore, Ménœtios m’amena chez vous d’Oponte, à la suite d’un homicide déplorable, le jour où j’avais tué le fils d’Amphidamas, pauvre sot! sans le vouloir, en colère pour des osselets. Pélée, le bon meneur de chars, alors me reçut chez lui, m’éleva avec de grands soins, et me nomma ton écuyer. Tout de même, qu’un seul cercueil enferme nos cendres à tous deux : l’urne d’or que t’a donnée ta digne mère!»

Achille aux pieds rapides en réponse lui dit :

«Pourquoi, dis-moi, tête chérie, es-tu donc venu ici? Et pourquoi tant d’injonctions? Va, sois-en sûr, je te veux obéir et faire tout comme tu le demandes. Mais viens plus près de moi : qu’un instant au moins, aux bras l’un de l’autre, nous jouissions de nos tristes sanglots!»

Il dit et tend les bras, mais sans rien saisir : l’âme, comme une vapeur, est partie sous terre, dans un petit cri. Achille, surpris, d’un bond, est debout. Il frappe ses mains l’une contre l’autre et dit ces mots pitoyables :

«Ah! point de doute, un je ne sais quoi vit encore chez Hadès, une âme, une ombre, mais où n’habite plus l’esprit. Toute la nuit, l’âme du malheureux Patrocle s’est tenue devant moi, se lamentant, se désolant, multipliant les injonctions. Elle lui ressemblait prodigieusement.»

Page d'accueil

- +