Denis Thériault

L’iguane

Québec   2001

Genre de texte
roman

Contexte
Luc a comme surnom intime Fngl et rêve de devenir poisson pour vivre dans l'océan

Texte témoin
Denis Thériault, L’iguane, Montréal, collection Romanichels, 2001, p. 113.




Rêves de Luc

Fantasmagorie marine

En fait, c'est probablement le trop-plein des rêves de Luc qui déborde dans les miens. Car depuis la rentrée, son activité onirique atteint des proportions océaniques. Ses nages sont éperdues, ses errances fabuleuses. Chevauchant de puissantes mantas, Fngl survole les pics des monts amers et affronte en combat singulier de protoplasmiques entités; il poursuit la Ville des vrilles jusqu'au tréfonds de canyons abyssaux et parfois, au bout d'un rêve, il devine dans le lointain des eaux ce nimbe violet que produisent ses feux. Alors il sent qu'elle est proche, la Cité vagabonde; les poissons dansent pour témoigner de son passage récent, les flots vibrent encore de la rumeur des conques, et Fngl sait qu'il arrive, qu'il la contemplera bientôt. Et Luc aussi ne vit plus que pour ça. Sa quête de la belle Ftan se fait urgente, plus vitale que jamais depuis le retour à l'école. Je pense que c'est même une condition de sa santé mentale. Rêver a toujours été pour Luc un exutoire naturel, un moyen de contourner la détestable réalité, mais rien de ce qu'il vivait auparavant ne se compare aux affres quotidiennes de la polyvalente. À ses yeux, c'est l'antithèse concrète de Ftan, le pendant cauchemardesque du glorieux univers aquatique. Réintégrer chaque nuit sa peau de triton devient l'équivalent d'une drogue, d'un analgésique dont il a besoin pour tenir le coup, et en doses de plus en plus massives.

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