Feng Menglong

Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois

Chine   1640

Genre de texte
conte

Contexte
Liu Yuanpu est le héros de ce conte et se signale par sa bonté et sa sagesse. Il voit en rêve les deux principaux personnages qui ont envers lui une dette de reconnaissance. Par la suite, son épouse deviendra enceinte et accouchera d’un garçon.

Texte témoin
«Liu Yuanpu, par deux fois, engendre un digne fils». Chap. XVIII de Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois, texte traduit, présenté et annoté par Rainier Lanselle, Paris, Gallimard, Collection de la Pléiade, 1996, p. 764.




Rêve de Liu Yuanpu (1)

Il sera récompensé

Cette nuit-là, Liu Yuanpu se reposait quand, vers la troisième veille, il vit tout à coup deux hommes qu'un maintien noble et une apparence majestueuse désignaient comme des mandarins surgir et se prosterner devant lui en lui donnant le nom de Noble Bienfaiteur. Le vieillard, effrayé, se dressa alors sur son séant et, les tenant à distance, «Honorables fantômes, leur dit-il, que me vaut l'honneur de cette visite? Est-ce pour m'ôter la vie que vous êtes descendu des cieux?»

Celui qui était à main gauche lui répondit: «Je suis Pei Xi, autrefois préfet départemental à Xiangyang, et voici son Excellence Li Kerang, défunt sous-préfet de Qiantang. L'Empereur d'En-Haut, ayant jugé notre loyauté digne de sa très gracieuse miséricorde, nous a élevés, moi-même au rang de divinité protectrice des Murailles et des Fossés de la capitale, son Excellence Li à celui de juge au tribunal des Enfers.

«Quand, ayant vu son père emporté par les rets fatals de la justice, ma jeune enfant se retrouva seule et abandonnée de tous, elle trouva auprès de vous, monsieur, les attentions admirables et les secours généreux que seul sait dispenser celui qui mérite le nom d'homme de bien. Vous lui donnâtes le meilleur des époux, et non content, vous pourvûtes à notre sépulcre et permîtes que nous goûtassions pleinement, dans l'autre monde où nous sommes, les douceurs du lien que vous daignâtes tisser entre nous. Vos bienfaits sont trop grands, monsieur, partagent par trop la splendeur du Ciel et de la Terre, pour que nous puissions faire davantage, que de vous en rendre une infime parcelle, une goutte d'eau, un grain de poussière! Or nous avons, de conserve, présenté un mémoire en votre faveur à la Cour du Ciel: l'Empereur d'En-Haut, ayant constaté vos vertus illustres, a mandé et ordonné que, par un privilège exceptionnel, il vous soit accordé une illustration dans les grades qui vous conduira à la qualité de mandarin de la première classe, un sursis de trente ans sur le lot d'années de vie qui vous était premièrement échu, enfin deux dignes fils encore à naître! Voilà, monsieur, d'heureuses nouvelles dont nous avons tenu à vous instruire, faisant fi un moment des cloisons qui séparent l'ombreuse retraite des morts du clair séjour des vivants.»

Celui qui était à main droite, prit alors la parole: «J'étais un inconnu, vous étiez mon espoir, dans un pli silencieux je vous dis mon tourment. Et par un bonheur qu'à peine j'avais osé concevoir, comprenant aussitôt dans votre clairvoyance le sens de mon message, vous ne balançâtes point à embrasser bravement le parti de l'honneur, à enterrer les morts et nourrir les vivants. Un tel bienfait était déjà de ceux dont on a peu d'exemples, mais loin que vous vous en tinssiez à lui, il vous a plu, monsieur, d'ajouter à mes joies celle, combien inespérée, de confier la pérennité de notre lignée à une pure et chaste jeune fille. Que dire, monsieur, sinon que les longues années de vieillesse et les fils qu'on vous promet en retour de vos grâces ne sont que bien peu de chose à l'aune de votre sublime charité. J'ai laissé en mourant une femme déjà grosse: c'est demain matin qu'elle devrait mettre au monde une fille, qui aura pour nom Fengming, Chant du Phénix, et que j'ai l'audace d'espérer de voir devenir un jour la modeste épouse de monsieur votre aîné. Car vous m'avez donné une bru, et je veux en retour vous en donner une aussi, afin que je puisse m'acquitter d'une parcelle des devoirs que vous m'avez créés.»

Ils parlèrent ainsi, et quand ils eurent parlé, ils saluèrent le vieillard en joignant leurs mains, puis se retirèrent. Yuanpu voulut les raccompagner, mais comme il allait à eux, ils le repoussèrent assez rudement... et il se retrouva dans son lit, sa femme à ses côtés! Il conta alors à cette dernière tout ce qu'il avait vu et entendu dans son rêve.

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