Feng Menglong

Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois

Chine   1640

Genre de texte
conte

Contexte
Ce rêve apparaît au tout début du conte. L’image du papillon est célèbre dans la philosophie taoïste. La rondeur des ailes symbolise la nature foncièrement indifférenciée de l’Univers.

Texte témoin
«Battant son écuelle, Zhuang Zixiu accède à la suprême voie». Chap. XX des Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois, texte traduit, présenté et annoté par Rainier Lanselle, Paris, Gallimard, Collection de la Pléiade, 1996, p. 812-3.




Rêve de Zhuang

Le rêve du papillon

Maître Zhuang dormait souvent le jour; c'est au milieu de l'un des rêves qu'il fit en pareille occasion, qu'il se vit papillon voletant gaiement parmi les fleurs d'un jardin, l'esprit empli d'une sérénité extraordinaire. À son réveil, il se sentait encore les bras semblables à deux ailes prêtes à le transporter dans les airs. Ce prodige lui parut si singulier que lorsque ce même rêve se fut reproduit plusieurs fois, il en fit part à son maître Laozi, un jour qu'ensemble ils siégeaient, occupés à commenter le Livre des mutations. Ce maître était, nous l'avons dit, l'un des plus grands sages qui eût jamais vécu: sa science des existences successives auxquelles est voué chaque humain, la connaissance qu'il avait de l'origine ultime des êtres et des choses, lui permirent de révéler à Zhuangzi les déterminations archaïques qu'il avait héritées de ses vies antérieures: il lui apprit ainsi qu'il était papillon blanc au moment où, au sortir du chaos originel le ciel et la terre s'étaient scindés pour gagner chacun leur place. Le ciel avait engendré l'eau, et l'eau les arbres; quand ceux-ci étaient devenus prospères et florissants, ce papillon blanc avait aspiré le suc substantifique des cent espèces florales, et ravi au soleil et à la lune leurs vertus essentielles: ainsi renforcé des souffles de la nature et des humeurs des différentes saisons, il était devenu à jamais immortel, et ses ailes avaient pris une forme ronde comme sont rondes les roues des voitures. Par la suite, s'en étant allé folâtrer sur les bords du lac de Porphyre, séjour des célestes déités, il avait effrontément butiné les fleurs encore en bouton des pêchers d'immortalité, en punition de quoi il avait été mortellement frappé d'un coup de bec par le phénix noir, gardien des jardins de S. M. la Reine mère d'Occident. Mais si son corps avait péri, son âme ne s'était point dispersée, et elle avait trouvé dans celui de Zhuang Zhou de quoi redonner, dans le monde sensible, une actualité patente à cette existence jamais interrompue. Et c'était en raison des racines primordiales peu communes dont émanait sa vie actuelle, et conséquemment des fermes assises de son sentiment de la Voie, qu'il s'était, lui, Zhuang Zhou, placé sous le gouvernement de Laozi, dont il avait reçu les éléments du non-agir et de la purification de l'âme.

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