Mary Shelley

Frankenstein

Angleterre   1831

Genre de texte
roman

Contexte
Ce rêve est extrait de l’introduction au roman. Mary Shelley, son mari et plusieurs de leurs amis, y compris Lord Byron, ont décidé de chercher à s’effrayer mutuellement avec des histoires de fantômes. Byron met chacun au défi de créer sa propre histoire et Mary Shelley, incapable de penser à une histoire effrayante, va se coucher. Elle fait alors ce rêve, qui lui inspirera son roman Frankenstein.

Texte original

Texte témoin
Frankenstein or The Modern Prometheus, London, Penguin Books, 1992, p.8-9. [La traduction proposée ici est de C.V.]




Un rĂŞve de Mary Shelley

Elle voit le Dr Frankenstein

Lorsque je mis ma tête sur l’oreiller, je ne pus dormir et on ne peut même pas dire que je pensais. Mon imagination, déchaînée, me possédait tout entière et me guidait, donnant aux images qui se succédaient dans mon esprit une vivacité bien supérieure à celle de la rêverie ordinaire. Je voyais — les yeux fermés, mais avec une vision mentale très nette — je voyais le pâle étudiant agenouillé à côté de la chose qu’il avait rassemblée. Je voyais le fantasme hideux d’un homme étiré, et ensuite penché sur la mise en marche d’un puissant engin, montrer des signes de vie et esquisser des mouvements maladroits, à demi-vivants. Terrifiant tout cela; car il doit être suprêmement terrifiant qu’une entreprise humaine puisse mimer l’extraordinaire mécanisme du Créateur du monde. Son succès devait terrifier l’homme de l’art; il s’enfuirait en courant loin de son odieux bricolage, frappé d’horreur. Il espérerait que, laissé à elle-même, la légère étincelle de vie qu’il avait communiquée à cette chose s’éteindrait; que cette chose, qui avait reçu une vie animée si imparfaite retournerait à la matière inanimée; et qu’il pourrait dormir avec la conviction que le silence de la tombe étoufferait à jamais l’existence provisoire du cadavre hideux dont il avait cherché à faire le berceau de la vie. Il dort; mais il est réveillé. Il ouvre les yeux. Surprise! L’horrible chose est debout à côté de son lit, ouvrant les rideaux et le regardant de ses yeux jaunâtres, humides et inquisiteurs.

J’ouvris les miens avec terreur. L’idée avait si bien pris possession de mon esprit qu’un frisson de terreur courut à travers mon corps et que je souhaitais échanger les images horribles de mon imagination pour celles de la réalité alentour. Je les vois encore, la chambre, le parquet, les volets fermés, avec le clair de lune passant à travers et le sentiment que le lac vitreux et les blanches Alpes étaient en arrière. Je ne pus pas aussi facilement me débarrasser de mon hideux fantôme. Il me hantait encore. Je devais penser à autre chose. Je retournais à mon histoire de fantôme, à ma fastidieuse, malheureuse histoire de fantôme! Oh, si seulement je pouvais en commettre une qui effraierait mon lecteur autant que je l’avais moi-même été cette nuit-là !

Page d'accueil

- +