Antoine Hamilton

Histoire de Fleur d’Épine

France   1719

Genre de texte
prose, roman

Contexte
Le rêve se situe à la fin de la deuxième partie intitulée « Histoire de Fleur d’Épine ». Il y a quatre parties dont la deuxième, la plus longue, contient l’essentiel du récit.

Les regards de la princesse Luisante font mourir ou aveuglent ceux qui la regardent. Tarare, un jeune écuyer, demande de l’aide à la magicienne Serene pour faire cesser le phénomène. À la suite d’une série d’aventures, Tarare et la magicienne réussissent à guérir la princesse et tous ceux qu’elle a rendus aveugles. Le calife, père de Luisante, raconte ici à Serene le rêve qu’il a fait avant la naissance de sa fille.

Notes
Hamilton place ce conte dans le cadre des Mille et une Nuits dont l’édition Galland (1704-1717) est l’un des succès de ce début de siècle.

Texte témoin
Le Cabinet des fées, Genève, Barde, Manget et Cie, 1786, t. 20, p. 283-285.




Un calife crédule

La reine accoucherait d’un dragon

Le calife donna d’abord tous les ordres nécessaires pour l’appareil d’une fête qui devoit être la plus magnifique qu’il eût jamais donnée, quoiqu’il en eût fait voir de merveilleuses ; et, tandis que tout étoit en mouvement pour l’exécution de ses volontés, voulant lui-même faire les honneurs de sa cour à la respectable Serène, il lui faisoit voir les beautés d’un superbe sallon achevé peu de temps après la naissance de Luisante : il ne pouvoit sans doute occuper plus dignement l’attention de la savante magicienne ; car à peine avoit-elle rien vu de si merveilleux, ou de plus éclatant dans cette demeure inaccessible qu’elle s’étoit faite. Le calife, voyant qu’elle en témoignoit de l’admiration : n’allez pas croire, lui dit-il, que ce soit moi qui aye imaginé tout cela. Vous saurez que, pendant la grossesse de la feue reine, j’eus un songe, dans lequel il me parut qu’elle accouchoit d’un méchant petit dragon, qui se mit à me manger le blanc des yeux dès qu’il fut au monde ; je consultai les savans sur un songe qui me donnoit beaucoup d’inquiétude : les uns dirent que j’aurois un fils qui me déposséderoit, après m’avoir fait crêver les yeux ; d’autres assurèrent qu’il ne feroit qu’obscurcir ma gloire par les armes, soit par la vivacité d’un esprit qui devoit effacer les lumières du mien : je ne fus en peine que de la première explication ; enfin, celui qui se vantoit d’être le plus habile, m’assura que ce fils menaçoit la tranquillité de mes jours ou de mon état, à moins que je ne pusse élever ce bâtiment avant sa naissance ; il m’en donna le dessein tel que vous le voyez, et il l’entreprit ; mais, quelque diligence qu’il pût faire, la calife, mon épouse, accoucha de Luisante, avant qu’il pût être achevé ; toutes mes alarmes cessèrent, quand, au lieu de ce maudit dragon de fils que m’annonçoient leurs prédictions, je me vis la plus jolie fille qui vînt jamais au monde : la vérité est qu’elle n’y vint que trop belle, comme nous l’avons éprouvé depuis ; car si vous et Tarare n’y eussiez mis la main, à l’heure que je vous parle, on ne verroit que des quinze-vingt dans ma cour. Mais vous qui savez tout, poursuivit-il, que vouloit dire cette interprétation d’un fils au lieu d’une fille ? à quelle fin ce sallon avec tous ces ornemens ? Et enfin, que vouloit dire mon songe ? Car il faut bien qu’il ait quelque rapport à Luisante, puisqu’il étoit question d’yeux. Le voulez-vous savoir, dit Serène ? En voici l’éclaircissement : votre songe étoit purement un songe, vos interprètes des imposteurs ou des ignorans, et celui qui vous a conseillé ce sallon un architecte qui vouloit profiter de l’avis qu’il vous donnoit : mais allons rejoindre nos amans, ce sera là que vous apprendrez quelque chose de plus particulier sur ce que les yeux de Luisante ont eu de fatal pendant un temps.

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