Feng Menglong

Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois

Chine   1640

Genre de texte
conte

Contexte
Ce rêve se situe vers la fin conte.

A la suite d’un incendie, un administrateur perd sa charge et meurt, laissant sa fille Yuexiang orpheline. Celle-ci est recueillie par un marchand et passe quelques années dans sa maison jusqu’à ce qu’elle soit vendue par la femme de ce dernier pour devenir la servante de la fille de l’administrateur qui a succédé au successeur de son père. Mis au courant de l’histoire de Yuexiang, Zhongli Yi fait tout en son pouvoir pour lui rendre la situation qui lui revient et il réussit à la marier au fils d’un de ses collègues. Ce rêve survient peu après la noce.

Notes
Empereur d’En-Haut : divinité suprême du panthéon taoïste, qui décide du destin des hommes.

Dieu des murs et des fossés : divinité protectrice de la cité, représentée comme un fonctionnaire. Cette fonction est accordée à un mortel méritant, après sa mort.

La céleste Voie : cette expression désigne l’ordre de la nature et la justice immanente par laquelle le corrompu se condamne à la ruine tandis que la vertu finit toujours par être récompensée.

Ce conte occupe le chapitre II de la compilation et est attribué à Feng Menglong, compilateur.

Texte témoin
«Les deux magistrats, pour marier l’orpheline, rivalisent d’équité». Chap. II de Spectacles curieux d’aujourd’hui et d’autrefois, texte traduit, présenté et annoté par Rainier Lanselle, Paris, Gallimard, Collection de la Pléiade, 1996, p. 63-66.




Une apparition

Le fantôme d’un père reconnaissant

Or Zhongli Yi, trois jours après la noce, vit la nuit, en rêve, un mandarin muni du bonnet et de la tablette d’ivoire, attributs des fonctions politiques, se tenir devant lui, et lui parler en ces termes: «Je suis Shi Bi, dit-il, le père de Yuexiang. La vie me connut magistrat de cette sous-préfecture: hélas! les flammes emportèrent les greniers publics, je fus condamné à rembourser les dommages, et je mourus, en proie à la mélancolie. L'empereur d'En-Haut me reconnut toutefois pour le fonctionnaire intègre que j'avais toujours été: il prit en pitié l'innocence accablée par une injuste imputation, et je suis depuis devenu, d'après son décret, la divinité protectrice des Murs et des Fossés de la ville, monsieur, que vous administrez.
«Par la grâce d'un élan magnanime dont les heureux effets ont porté jusqu'à moi, vous avez daigné arracher ma fille bien-aimée, Yuexiang, à la boue où elle était tombée, pour la donner au meilleur des époux: vous avez donné là, monsieur, la preuve de ces vertus qu'on exerce à l'insu du siècle, mais dont les mérites néanmoins n'échappent pas aux regards des ombres rétributrices. J'informai des vôtres l'empereur d'En-Haut: j'appris alors que votre destinée ne vous réservait point d'héritier mâle: mais le Souverain, content de vos bontés, a daigné vous accorder un fils; il fera la gloire de votre maison. Vous-même serez appelé à servir dans de hautes fonctions, et ne quitterez la vie qu'après avoir atteint un âge avancé. Votre collègue, Gao- gong, de la sous-préfecture voisine, a partagé vos vues; il a daigné recueillir l'orpheline et en a fait sa bru: l'empereur d'En-Haut a aimé ce beau trait, il lui réserve aussi sa récompense; ses fils recevront des fonctions éminentes, et leurs émoluments paieront bien ses vertus!
«Apprenez, monsieur, apprenez aux hommes de votre siècle, quelle conduite ils doivent conserver:

RÉPANDRE PARTOUT SES BIENFAITS; ÉPARGNER LE FAIBLE, RESPECTER LA VEUVE; NE POINT CHERCHER SON AVANTAGE AUX DÉPENS DU PROCHAIN.

Car la céleste Voie darde partout ses rayons prescients: pas un cheveu, pas une fibre n'échappe à ses yeux scrutateurs.»
Ayant ainsi parlé, l'ombre se prosterna par deux fois. Zhongli-gong voulut lui rendre son salut, mais comme il se levait pour le faire, il s'embarrassa le pied dans un pan de sa robe, tomba de son lit... et s'éveilla en sursaut - c'est qu'il avait rêvé! Aussitôt il apprit à sa femme ce qui lui avait été révélé.

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