Emmanuel B. Dongala

Les petits garçons naissent aussi des étoiles

Centrafrique   2000

Genre de texte
roman

Contexte
Le narrateur vient de se bagarrer, querelle au cours de laquelle il a été sérieusement amoché parce qu’on lui avait attaché son bras gauche pour l’empêcher d’être gaucher. C’est à la suite de cette bagarre que, couché et fiévreux, il fait ce cauchemar. Cela se passe au quatrième chapitre du roman. Plus tard, sa maman lui racontera que ses deux frères jumeaux ont fait un rêve où un lion les pourchassait. Et c’est lui-même qui provoquera le prêtre en lui demandant s’il fait toujours le rêve où il fait l’amour avec Mâ Lolo. Le prêtre le traitera de diable.

Texte témoin
Les petits garçons naissent aussi des étoiles, Paris, le Serpent à Plumes, 2000, p.60-62.




Au pays des rêves

Détournement onirique

Je m’enfonçais de plus en plus dans ma fièvre et dans mon sommeil et je me suis mis à refaire la promenade que j’avais effectuée avec grand-père dans son village. Puis, à cause des gouttes de clairvoyance que Mama Kossa m’avais mises dans les yeux, le nez, les oreilles et la bouche lors de ma naissance, j’ai commencé à voir et à faire des choses que je n’avais jamais vues ni faites. Je me suis d’abord mis à flotter dans les bosquets et les forêts jusqu’aux lieux des montagnes d’où jaillissent les sources et où se cache souvent Mamiwata, la mère des eaux. Comme l’eau est pure et belle à sa source! On dirait qu’elle chante. J’ai continué à grimper la montagne où je suis arrivé à l’aube: j’ai revu le spectacle du soleil surgissant des entrailles de la Terre pour éclairer le monde. Pendant un long moment, tout autour de moi n’était que lumières et or. Ah, si je pouvais ne vivre que de lumière! Je suis resté si longtemps fasciné que je ne suis redescendu qu’avec le soleil, quand celui-ci, ayant perdu son or, devenu gros et rouge comme un cœur, retournait vers le pays des ancêtres éclairer leur pénombre. J’ai rebu l’eau de source. Malheureusement, la nuit aidant, je me suis retrouvé dans une contrée pleine de rêves qui se préparaient à aller se faire rêver par leurs destinataires. Il y en avait de très beaux, il y en avait d’amusants et il y en avait de très laids qui faisaient peur. J’ai vu un rêve d’un lion qui pourchassait un homme qu’il était en train de rattraper. Ce rêve prenait la direction de M. Louzolo, notre grand chasseur, celui qui nous avait tué un buffle la semaine dernière. J’ai rattrapé le rêve, et comme j’en voulais deux identiques, j’ai réussi à le dédoubler et je les ai envoyés à mes deux frères jumeaux pour leur faire peur. J’ai détourné un autre rêve qui se dirigeait vers le sommeil de Mâ Lolo, la jeune et belle femme de M. Bidié, le plus riche commerçant de notre village et le seul homme qui possédait un bandonéon dans notre pays; il n’était pas aussi riche que M. Konaté, mais il était riche quand même. C’était un rêve qui représentait Mâ Lolo, habillée de la robe de chambre qu’elle avait toujours convoitée chaque fois qu’elle venait à la maison pour feuilleter les magazines des femmes que papa achetait de temps en temps à maman. C’était une grande robe en soie avec un grand décolleté et assez transparente pour laisser percevoir ses seins; elle était vraiment belle dedans. J’étais désolé de faire perdre à Mâ Lolo un si beau rêve, mais comme je savais que le Père Boniface n’était pas marié et que la rumeur courait que les prêtres n’aimaient pas les femmes en dehors des bonnes sœurs, j’ai détourné le rêve de sa propriétaire et je le lui ai envoyé, trois nuits de suite.

J’ai découvert que les animaux aussi avaient des rêves; j’ai vu un rêve étonnant qui allait pénétrer dans le sommeil d’une biche: un lion qui fuyait devant un troupeau de biches. J’ai suivi le rêve d’un orang-outan mais, n’ayant pas fait attention, j’ai été aspiré par le rêve dans le sommeil de l’animal, j’étais prisonnier et je n’arrivais plus à sortir, Je me suis mis à grogner comme un singe, à bouffer des régimes de bananes et, de simple gaucher, j’étais devenu quadrumane qui sautait d’arbre en arbre. Je me suis débattu longtemps, longtemps, avant de me libérer du territoire onirique de ce grand singe et de fuir aussitôt cette contrée qui ne me plaisait plus. Fuir, fuir, sortir. Je sentis une fraîcheur sur mon front, j’ouvris les yeux et je vis les brochettes d’ombres autour de moi comme au jour de ma naissance : je reconnus papa, l’assistant médical que nous appelions tous docteur, quelques parents et amies de maman et mon oncle. (…)

J’ai appris par la suite que j’avais fait une grave crise de paludisme qui avait duré trois ou quatre jours.

Texte sous droits.

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