Maurice Maeterlinck

« La connaissance de l’avenir »

Belgique   1917

Contexte
Le texte « La connaissance de l’avenir » est en partie consacré à une réflexion sur les rêves prémonitoires. Maeterlinck, fasciné par ce sujet, y reviendra en 1929 dans un texte intitulé « La culture des songes », extrait de La Vie de l’espace.

Notes
1 La bibliothèque privée de Maurice Maeterlinck, à Gand, au Musée Arnold Vander Haeghen, possède toujours l’exemplaire suivant : Bozzano Ernest, Les phénomènes prémonitoires, Paris, Editions des Annales des Sciences Psychiques, 1913, 450 p.

2 [Note de l’auteur : Proceedings , vol. V et XI.] La bibliothèque privée de Maurice Maeterlinck, à Gand, au Musée Arnold Vander Haeghen, possède un certain nombre d’exemplaires de cette revue sur les sciences psychiques : Proceedings of the Society for Psychical research, London, Trübner and Co.

3 La bibliothèque privée de Maurice Maeterlinck, à Gand, au Musée Arnold Vander Haeghen, possède toujours l’exemplaire suivant : Joseph Maxwell, Les Phénomènes psychiques. Recherches, observations, méthodes. Préface de Charles Richet. Quatrième édition. Paris, Librairie Félix Alcan et Guillaumin réunies, 1909, 317 p.

4 [Note de l’auteur : J. Maxwell, Les phénomènes psychiques, p. 182.]

5 La bibliothèque privée de Maurice Maeterlinck, à Gand, au Musée Arnold Vander Haeghen, possède toujours l’exemplaire suivant : Flournoy Théodore, Esprits et Médiums. Mélanges de métapsychique et de psychologie, Genève, Künding ; Paris, Fischbacher, 1911, 561 p.

6 [Note de l’auteur : On sait que la xénoglossie n’est pas rare dans l’écriture automatique ; assez fréquemment même, l’ « automatiste » parle ou écrit des langues qu’il ignore complètement. Voici la traduction du passage : « Ne vous pressez pas. Datez ceci. C’est ce que je voulais enfin. Justice et Joie, dites un mot pour le sage, A. W. V. ; et peut-être pour quelqu’un d’autre encore. La craie adhérant aux pieds a vaincu la difficulté. Vous aidez beaucoup en persévérant toujours. Maintenant je puis écrire un nom comme cela. »]

7 [Note de l’auteur : Proceedings, vol. XI, p. 493.] Voir note 2.

8 [Note de l’auteur : Proceedings, vol. XI, p. 505.] Voir note 2.

Texte témoin
« La connaissance de l’avenir », L’Hôte inconnu, Paris, Librairie Arthème Fayard, Collection « Le livre de demain », 1941.

Édition originale
Maurice Maeterlinck, L’Hôte inconnu, Paris, Eugène Fasquelle, 1917, 327 p.

Bibliographie

Manuscrits

Ancienne bibliothèque Carlo de Poortere, Courtrai, n°15, L’Hôte inconnu, [1917]. Manuscrit autographe. Voir la description complète dans le catalogue de la Bibliothèque Carlo de Poortere, Liège, H. Vaillant-Carmanne, 1985, p.148.

Ancienne bibliothèque Carlo de Poortere, Courtrai, n°16, Carnet de notes pour L’Hôte inconnu, [1917]. Manuscrit autographe. Voir la description complète dans le catalogue de la Bibliothèque Carlo de Poortere, Liège, H. Vaillant-Carmanne, 1985, p.148-149.

Etudes, comptes-rendus

Mauclair, C., « L’Hôte inconnu », La Semaine littéraire, 1225, 23 juin 1917, p.292-295.

Adès-Theix, « Maeterlinck et L’Hôte inconnu », La Grande revue, XCIII, 1917, p.643-667.

Brieu, J., « L’Hôte inconnu », Mercure de France, CXXII, 1er juillet 1917, p.135-137.

Souday, P., « L’Hôte inconnu », Le Temps, 14 mai 1917.





Cas de précognition

Quand j’écrivais, en 1913, les pages qu’on va lire, personne ne prévoyait et n’avait annoncé la guerre en suspens sur le monde. Les deux ou trois prophéties, seules authentiques et acceptables parmi beaucoup d’autres, que j’examine dans un chapitre des Débris de la Guerre, sont vagues, incertaines et presque insignifiantes. Il est vrai que depuis un certain temps, les clairvoyants, plus ou moins professionnels, découvraient, parmi ceux qui les consultaient, une sorte d’épidémie de morts individuelles, dont ils ne pouvaient rendre compte.

Il importe, au début de cette étude, de faire loyalement cette constatation : le plus formidable fléau, qui, de mémoire humaine, ait dévasté la terre, bien qu’effleurant déjà la tête de plusieurs millions d’hommes, n’avait pas été prédit. Ainsi se confirme une fois de plus ce principe, auquel, en attendant mieux, il est prudent de se tenir ; à savoir que la connaissance de l’avenir, dès qu’il ne s’agit pas d’un fait strictement personnel et très prochain, est presque toujours illusoire.

La prémonition ou la précognition nous mène en des régions encore plus mystérieuses que celles de la psychométrie, où se dresse à demi, émergeant d’irritantes ténèbres, le plus grave problème qui puisse passionner l’humanité: la connaissance de l’avenir. La plus récente, la meilleure et la plus complète étude qu’on lui ait consacrée, est, je pense, celle que vient de publier, sous le titre : Des phénomènes prémonitoires, M. Ernest Bozzano (1). Profitant d’excellents travaux antérieurs, notamment de ceux de Mrs. Sidgwick et de Myers (2), et y joignant le résultat de ses recherches personnelles, il réunit un millier de cas de précognition, parmi lesquels il en retient cent soixante, moins par dédain de la plupart des autres que pour ne pas excéder trop manifestement les limites normales d’une monographie.

Il commence par éliminer soigneusement tous les épisodes qui, sous une apparence prémonitoire, peuvent s’expliquer par autosuggestion (dans le cas, par exemple, où quelqu’un, atteint d’une maladie encore latente, semble prévoir cette maladie et la mort qui en sera la conclusion), par télépathie (lorsqu’un sensitif a la perception anticipée de l’arrivée d’une personne ou d’une lettre), ou enfin par lucidité (lorsqu’on a en songe « la perception de l’endroit où l’on trouvera un objet égaré, ou une plante rare, ou un insecte vainement cherché; ou encore lorsqu’on a en rêve la vision du lieu inconnu qu’on visitera plus tard »), etc.

Dans tous ces cas, il ne s’agit pas à proprement parler d’avenir pur, mais plutôt d’un présent qui n’est pas encore connu. Ainsi réduit et dépouillé de toute influence, de toute ingérence étrangère, le nombre d’exemples où il y a réellement perception nette et incontestable d’un fragment du futur, demeure, au contraire de ce qu’on croit généralement, assez considérable pour qu’il soit impossible de parler de hasards extraordinaires ou de coïncidences merveilleuses. Il faut qu’il y ait limite à tout, même à la méfiance, à l’incrédulité la plus étendue, sinon toute étude historique et bon nombre d’études scientifiques deviendraient décidément impraticables. Et cette remarque s’applique autant à la nature des faits en question qu’à leur authenticité narrative. On peut contester ou suspecter n’importe quel récit, n’importe quelle preuve écrite ou testimoniale ; mais il faut dès lors renoncer aux certitudes et aux sciences qui ne s’acquièrent point parmi les manipulations du laboratoire ou les opérations mathématiques, c’est-à-dire aux trois quarts des phénomènes humains qui nous intéressent le plus. Notez que les récits recueillis par les enquêtes de la Society for Psychical Research, comme presque tous ceux retenus par M. Bozzano, sont de première main et qu’on a impitoyablement rejeté ceux dont les narrateurs n’avaient pas été les acteurs ou les témoins directs. Au surplus, quelques-uns de ces récits ont nettement le caractère d’observations scientifiques; quant aux autres, si l’on examine attentivement la situation de ceux qui les ont faits et les circonstances qui les corroborent, on conviendra qu’il est plus juste et plus raisonnable d’y ajouter foi que de considérer, a priori, tout homme à qui arrive un événement extraordinaire, comme un menteur, un halluciné ou un plaisantin.

Il ne saurait être question de donner ici, ne fût-ce qu’une brève analyse des faits les plus saillants. Elle exigerait une centaine de pages et changerait la nature de cette étude, qui, pour ne pas déborder son cadre, doit supposer connus la plupart des matériaux qu’elle examine. Je renvoie donc le lecteur, qui voudrait se faire une opinion plus personnelle, aux sources aisément accessibles que j’ai indiquées plus haut. Il suffira, pour donner une idée précise de la gravité du problème à qui n’aurait pas le temps ou l’occasion de recourir aux documents originaux, de résumer en quelques mots quelques-unes de ces aventures d’avant-garde, choisies parmi celles qui paraissent le moins contestables, car il va sans dire que toutes n’ont pas la même valeur, sinon la question serait tranchée. Il en est qui, très frappantes au premier abord et offrant au point de vue de l’authenticité des faits toutes les garanties désirables, n’impliquent cependant pas une connaissance réelle de l’avenir et peuvent s’interpréter d’autre façon. En voici une à titre d’exemple ; elle nous est rapportée par le Dr Teste dans son Manuel pratique du Magnétisme animal.

Le 8 mai, le Dr Teste plonge dans un état somnambulique Mme Hortense M… en présence de son mari. Aussitôt endormie, elle annonce qu’elle est enceinte de quinze jours, qu’elle n’accouchera pas à terme, que le 12 mai, « elle aura peur de quelque chose », et fera une chute qui déterminera une fausse-couche. Elle ajoute que ce 12 mai, à trois heures et demie, après avoir été effrayée, elle aura une faiblesse qui durera huit minutes, et décrit ensuite, heure par heure, le cours de sa maladie qui se terminera par trois jours d’une démence dont elle guérira.

Au réveil, elle a tout oublié; on lui cache ce qui s’est passé ; et le Dr Teste communique au Dr Amédée Latour les notes qu’il a prises. Le 12 mai, il se rend chez les époux M…, les trouve à table et rendort Mme M… qui répète mot pour mot ce qu’elle a dit quatre jours auparavant. On la réveille. L’heure dangereuse approche. On prend toutes les précautions imaginables, on ferme même les volets. Mme M… qu’inquiètent ces mesures extraordinaires auxquelles elle ne comprend rien, demande ce qu’on lui veut. Trois heures et demie sonnent. Mme M… se lève du divan sur lequel on l’avait fait asseoir et veut gagner la porte. Le docteur et le mari s’y opposent. — « Mais enfin qu’est-ce qui vous prend ? il faut absolument que je sorte. — Non, madame, vous ne sortirez pas, c’est dans l’intérêt de votre santé. — Eh bien, docteur, si c’est dans l’intérêt de ma santé, raison de plus pour me laisser sortir », répond-elle en riant. Le motif est plausible et même irrésistible ; mais le mari, voulant pousser jusqu’au bout la lutte contre le destin, déclare qu’il accompagnera sa femme. Le docteur reste seul, assez inquiet, en dépit de la tournure un peu burlesque que prend l’aventure. Tout à coup, un cri perçant se fait entendre en même temps que le bruit de la chute d’un corps. Il se précipite et trouve Mme M… éperdue, mourante, dans les bras de son mari. Au moment où, quittant une seconde celui-ci, elle avait ouvert la porte de l’endroit prédestiné, un rat, là où depuis vingt ans, paraît-il, on n’en avait pas vu, avait bondi sur elle et lui avait causé une terreur telle qu’elle était tombée à la renverse. Tout le reste de la prophétie, heure par heure, et détail par détail, s’accomplit à la lettre.

Pour préciser nettement l’esprit dans lequel j’entreprends cette étude et écarter d’abord tout soupçon de crédulité aveugle ou systématique, je tiens donc à dire dès le début que je me rends fort bien compte que des cas de ce genre n’emportent nullement conviction. Il est fort possible que tout se soit passé dans l’imagination subconsciente du sujet; qu’il ait créé lui-même, par autosuggestion, sa maladie, sa terreur, sa chute, sa fausse-couche et se soit adapté à là plupart des circonstances qu’il avait prédites dans son état second. Seule, l’apparition du rat à l’instant fatidique, supposerait une vision précise et troublante d’un événement futur et inévitable. Malheureusement on ne nous affirme pas que cette apparition ait été constatée par d’autres témoins que la patiente; de sorte que rien ne prouve qu’elle ne soit pas également imaginaire. Je n’ai donc rapporté cet exemple insuffisant en soi, que parce qu’il représente assez bien l’allure générale et la valeur indécise de beaucoup de faits analogues et permet de marquer une fois pour toutes les objections qu’on peut faire et les précautions qu’il faut prendre avant de s’engager dans ces régions suspectes et ténébreuses.

Voici, maintenant, un fait infiniment plus significatif et moins discutable, rapporté par le Dr Maxwell, le savant et très scrupuleux auteur des Phénomènes psychiques (3) ; il s’agit d’une vision qui lui fut racontée huit jours avant l’événement, et dont il avait fait le récit à diverses personnes avant la réalisation. Un sensitif, comme disent les Anglais, avait donc aperçu dans un globe de cristal la scène suivante : un grand steamer, ayant un pavillon à trois bandes horizontales, noire, blanche et rouge, et portant le nom de Leutschland, naviguait en pleine mer. Le bateau fut soudain entouré de fumée, des marins, des passagers et des gens en uniforme coururent en grand nombre sur le pont et le bateau sombra.

Huit jours plus tard, les journaux annonçaient l’accident du Deutschland, dont la chaudière éclata, obligeant le paquebot à faire relâche.

Le témoignage d’un homme tel que le Dr Maxwell, surtout lorsqu’il s’agit d’un fait pour ainsi dire personnel, a une importance sur laquelle il est inutile d’insister. Nous avons donc ici, plusieurs jours d’avance, la prévision très nette d’un événement qui, du reste, chose étrange mais assez fréquente, n’intéresse en rien le voyant. L’erreur de lecture, Leutschland pour Deutschland, qui eût été très naturelle dans la réalité, ajoute encore je ne sais quel caractère de vraisemblance et d’authenticité au phénomène. Quant à la submersion finale qui ne fut qu’une simple relâche, il y faut voir, comme le font remarquer les Dr J.-W. Pickering et W.-A. Sadgrove, « la dramatisation subconsciente d’une inférence subliminale du percipient »; ces dramatisations sont d’ailleurs instinctives et presque générales en ce genre de visions.

Si ce cas était unique, il n’y faudrait certes pas attacher une importance décisive; « mais, fait observer le Dr Maxwell, ce sensitif m’a donné quelques autres exemples curieux : ces cas rapprochés de ceux que j’ai observés par ailleurs ou dont j’ai eu le récit de première main rendent très improbable l’hypothèse d’une coïncidence sans cependant l’exclure d’une manière absolue » (4).

Un autre cas, peut-être plus convaincant, plus rigoureusement établi et qui exclut plus nettement toute explication par l’hypothèse, d’ailleurs fort respectable, des coïncidences, est celui que rapporte M. Th. Flournoy, professeur à la Faculté des sciences de l’Université de Genève, dans son remarquable ouvrage : Esprits et Médiums (5). M. Flournoy est, comme on sait, l’un des théoriciens les plus savants et les plus sceptiques de la métapsychique. Il pousse même l’amour des explications naturelles et la répugnance à admettre l’intervention de forces supra-humaines, à un point où il est parfois difficile de le suivre. Je résume le plus brièvement possible son récit qu’on trouvera tout au long, aux pages 348 à 362 de l’excellent livre que je viens de mentionner.

En août 1883, une certaine Mme Buscarlet, qu’il connaît personnellement, revient à Genève, après avoir été, durant trois ans, l’institutrice de deux jeunes filles dans la famille Moratief, à Kasan. Elle reste en correspondance avec cette famille ainsi qu’avec une dame Nitchinof qui dirige, à Kasan, un institut où les demoiselles Moratief, ses anciennes élèves, sont entrées après son départ.

Dans la nuit du 9 au 10 décembre (style russe) de la même année, Mme Buscarlet a un songe dont elle envoie le matin même le récit à Mme Moratief par une lettre datée du 10 décembre. Elle y dit textuellement : « Vous et moi étions sur un chemin, dans la campagne, lorsque passa devant nous une voiture d’où sortit une voix qui nous appela. Arrivées près de la voiture, nous vîmes Mlle Olga Popof couchée en travers, vêtue de blanc avec un bonnet garni de rubans jaunes. Elle vous dit : Je vous ai appelée pour vous dire que Mme Nitchinof quitte l’institut le 17. Puis la voiture continua de rouler. »

Une semaine plus tard, et trois jours avant l’arrivée de la lettre à Kasan, l’événement prévu par le songe se réalise tragiquement. Mme Nitchinof succombe le 16 à une maladie infectieuse ; et le 17, son cadavre, par crainte de la contagion, est transporté hors de l’institut.

Il n’est pas inutile d’ajouter que la lettre de Mme Buscarlet, ainsi que les réponses venues de Russie, ont été communiquées au professeur Flournoy et portent les dates des cachets de la poste. De tels rêves prémonitoires sont fréquents ; mais il est assez rare que les circonstances et surtout l’existence d’un écrit antérieur à leur réalisation, leur donnent une authenticité aussi incontestable.

Remarquons en passant le caractère bizarre de cette prémonition, bien conforme du reste aux habitudes de notre hôte inconnu. Il fixe la date avec précision ; mais il ne fait qu’une allusion voilée et énigmatique (la femme couchée en travers de la voiture et vêtue de blanc) à la partie essentielle de la prédiction : la maladie et la mort.

Y a-t-il eu coïncidence, vision de l’avenir pure et simple ou vision de l’avenir suggérée par influence télépathique ? La théorie de la coïncidence peut ici, comme partout, être à la rigueur défendue, mais serait dans ce cas bien extraordinaire. Quant à l’influence télépathique, il faudrait supposer que dès le 9 décembre, huit jours avant sa mort, Mme Nitchinof possédât, dans sa subconscience, le pressentiment de sa fin ; et qu’elle eût, de Kasan à Genève, à travers un millier de lieues, envoyé ce pressentiment à une personne avec laquelle elle n’avait que des relations assez vagues.

C’est fort compliqué mais possible, car la télépathie a souvent des fantaisies plus déconcertantes. Dans ce cas, puisqu’il s’agirait d’une maladie latente ou même d’autosuggestion, la préexistence de l’avenir, sans être entièrement détruite, serait moins nettement établie.

Passons à d’autres exemples. J’emprunte à l’excellente étude de MM. Pickering et Sadgrove, sur l’Importance des précognitions, parue dans le numéro du 1er février 1908 des Annales des Sciences psychiques, le résumé d’une expérience de Mrs. W. Verral, dont le détail se trouve au tome XX des Proceedings. Mrs. W. Verral est une automatiste célèbre dont les Correspondances croisées occupent un volume entier des Proceedings. Sa bonne foi, sa sincérité, sa loyauté et sa rigueur scientifiques sont à l’abri de tout soupçon ; et elle compte parmi les personnalités les plus estimées et les plus actives de la Society for Psychical Research.

Donc, le 11 mai 1901, à 11 h. 10 du soir, Mrs. W. Verral écrivit automatiquement ce qui suit :

« Do not Hurry. Date this hoc est quod volui tandem διχαιοσύνη Καί χαρά συμφωνεϊ συνετοίσιν A.W.V. Kαί αλλω τινί ίσως. Calx pedibus inhaerens difficultatem superavit magnopere adjuvas persectando semper. Nomen inscribere jam possum sic en tibi. (6)»

Après l’écriture venait un dessin humoristique représentant un oiseau qui marchait.

La même nuit, comme « certains faits de nature douteuse » se produisaient, prétendait-on, dans deux chambres, à Londres, deux expérimentateurs décidèrent de passer la nuit dans ces appartements. Afin de découvrir les traces de tout intrus, ils répandirent sur le parquet de la craie pulvérisée. Mrs. Verral ignorait toute l’affaire. Les phénomènes commencèrent à minuit 43 et se terminèrent à 2 h. 9 du matin. Les expérimentateurs observèrent des marques dans la craie pulvérisée. Les ayant examinées, ils constatèrent « qu’il s’agissait d’empreintes de pieds d’oiseaux très nettement tracées : trois dans la pièce de gauche, cinq dans celle de droite ». Les marques étaient identiques, chacune de deux pouces trois quarts de largeur, pouvant être comparées aux empreintes d’un oiseau de la grosseur d’une dinde. Les empreintes n’ont été observées qu’à 2 h. 30 du matin ; les phénomènes inexpliqués avaient commencé à minuit 43 de la même nuit. Les mots concernant « la craie s’attachant aux pieds », suivis du dessin d’un oiseau, se rapportaient à ces faits d’une manière frappante; mais le point capital, c’est que Mrs. Verral écrivit ce que nous avons dit, une heure et trente-trois minutes avant que le fait ne se produisit.

Les personnes qui veillèrent dans les deux chambres furent questionnées par M. Piddington, membre du conseil de la Society for Psychical Research et déclarèrent qu’elles n’avaient aucunement prévu ce qu’elles découvrirent.

Inutile d’ajouter que Mrs. Verral n’avait jamais entendu parler des faits qui se passaient dans la maison hantée, de même que les veilleurs ignoraient complètement l’existence de Mrs. Verral.

Voici donc une très curieuse prédiction d’un événement d’ailleurs insignifiant, qui doit arriver, dans une maison inconnue de celle qui le prédit, à des gens qu’elle ne connaît pas davantage. Est-ce, comme le veulent les spirites qui triomphent ici, non sans quelque raison, un désincarné qui, intentionnellement, afin de prouver son existence et sa clairvoyance, organise cette mystérieuse petite scène où l’avenir, le présent et le passé se confondent ? — Est-ce la subconscience de Mrs. Verral qui erre ainsi, au hasard, dans le futur ? Il est certain que le problème se présente rarement sous un aspect aussi déroutant.

Prenons maintenant un autre rêve prémonitoire, rigoureusement contrôlé par le comité des Proceedings (7). Dans les premiers jours de septembre, Mrs. Annette Jones, femme d’un marchand de tabac de « Old Gravel lane » (East London) qui avait un enfant malade, rêve qu’elle voit passer un char qui s’arrête devant elle et contient trois petits cercueils, dont deux étaient blancs, et le troisième, un peu plus grand, d’un bleu pâle. Le conducteur retire le plus long des cercueils blancs, le dépose aux pieds de la femme et poursuit sa route emportant les deux autres. Mrs. Jones raconte son rêve à son mari et à une voisine, en insistant particulièrement sur la circonstance curieuse du cercueil bleu pâle.

Le 10 septembre, une amie des Jones met au monde un enfant qui meurt le 29 du même mois. Le lundi suivant, 2 octobre, le fils des Jones, âgé de seize mois, succombe à son tour. On décide d’enterrer les deux enfants le même jour. Le matin du jour choisi, le prêtre annonce aux Jones qu’un troisième enfant étant mort dans le voisinage, on le porterait à l’église en même temps que les deux autres. Mrs. Jones dit à son mari : « Les cercueils de nos enfants sont blancs ; si l’autre est bleu pâle, ce sera l’accomplissement de mon rêve. » — On apporte le troisième cercueil, il est bleu pâle. Il reste à remarquer que les dimensions des cercueils correspondaient exactement aux prémonitions du rêve : le plus petit étant celui de l’enfant mort le premier, le deuxième celui du fils Jones qui avait seize mois, et le plus grand, le bleu, celui d’un enfant âgé de six ans.

Prenons encore, plus ou moins au hasard, un autre exemple dans les inépuisables Proceedings (8). Le fait est rapporté par le Dr Alfred Cooper et appuyé du témoignage de la duchesse de Hamilton, du duc de Manchester et d’un autre gentilhomme auquel la duchesse avait communiqué le cas avant l’accomplissement de la vision prophétique.

Quinze jours avant la mort du comte de L…, raconte le Dr Cooper, j’étais allé, pour des raisons professionnelles, voir le duc de Hamilton. La consultation achevée, nous revînmes ensemble au salon, où se tenait la duchesse. Le duc me demanda : « Comment se porte le comte ? » — La duchesse intervenant : « Quel comte ?» — Je répondis : « Lord L… » — Alors elle observa : « C’est étrange ! j’ai eu hier soir une vision impressionnante. Je me trouvais au lit depuis peu, et je n’étais pas encore endormie, lorsque je vis se dérouler devant moi une véritable scène de théâtre. Les acteurs en étaient : Lord L…, sur une chaise, inanimé, et un homme à barbe rousse penché sur lui. Lord L… se trouvait à côté d’une baignoire au-dessus de laquelle brûlait distinctement une lampe rouge. »

Je répondis : « Je soigne en ce moment Lord L…, ce n’est pas grave ; il n’en mourra pas; dans quelques jours il sera rétabli. »

En effet, son état s’améliora durant une semaine, et il était presque guéri. Mais six ou sept jours plus tard, je fus rappelé d’urgence. Une inflammation avait envahi les deux poumons.

J’appelai en consultation Sir William Jenner, mais, au bout de six jours, notre malade mourait. J’avais fait venir pour l’assister deux infirmiers; l’un de ceux-ci tomba malade. Quand j’aperçus celui qui le remplaçait, je vis que le rêve de la duchesse était exactement réalisé. Il était penché sur le comte, près de la baignoire; et, chose étrange, sa barbe était rousse et la lampe rouge brûlait au-dessus d’eux. Il est assez rare de voir une salle de bains éclairée par une lampe rouge ; et c’est cette circonstance qui me rappela la vision de la duchesse. Cette vision m’avait été décrite quinze jours avant la mort de Lord L…

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