Jean-Paul Sartre

L'Imaginaire

France   1940

Genre de texte
essai philosophique

Contexte
Le rêve se situe à la toute fin de l'essai, dans la dernière subdivision (« Le rêve ») de la quatrième partie intitulée « La Vie imaginaire ».

Sartre débute son essai en abordant la question du certain, et en définissant la notion d'image. Ensuite, l'auteur passe du certain au probable. Il est clair qu'il se dirige du concret au plus abstrait car, en troisième lieu, il inclut l'image dans la vie psychique pour entrer, en un quatrième temps, dans la vie imaginaire elle-même. C'est à la toute fin de cette partie que, dans le chapitre « Le rêve », l'auteur donne à titre d'exemple un de ses rêves.

Texte témoin
Jean-Paul Sartre, l'Imaginaire : psychologie phénoménologique de l'imagination, Paris, Gallimard (coll. « Bibliothèque des idées »), 1940, p. 222-223.

Édition originale
Jean-Paul Sartre, l'Imaginaire : psychologie phénoménologique de l'imagination, Paris, Gallimard, 1940.

Édition critique
Jean-Paul Sartre, l'Imaginaire : psychologie phénoménologique de l'imagination, nouvelle édition par Arlette Elkaim Sartre, Paris, Gallimard (collection « Folio Essais »), 1986, p. 334.

Bibliographie
Josette Pacaly, Sartre au Miroir, Paris, Klincksieck, 1980, p. 35-36.




Imaginaire et émotions

Poursuivi par un faux-monnayeur

Voici, par exemple, un rêve que j'ai fait l'an dernier. J'étais poursuivi par un faux-monnayeur. Je me réfugiais dans une chambre blindée, mais il commençait, de l'autre côté du mur, à en faire fondre le blindage avec un chalumeau oxhydrique. Or, je me voyais, d'une part, transi dans la chambre et attendant -- en me croyant en sûreté -- et d'autre part, je le voyais de l'autre côté du mur en train de faire son travail de forage. Je savais donc ce qui allait arriver à l'objet-moi, qui l'ignorait encore et cependant l'épaisseur de la muraille qui séparait le faux-monnayeur de l'objet-moi était une distance absolue, orientée de lui à l'objet-moi. Et puis, tout d'un coup, au moment où le faux-monnayeur allait achever son travail, l'objet moi a su qu'il allait percer la muraille, c'est-à-dire que je l'ai soudain imaginé comme le sachant, sans me préoccuper d'ailleurs de justifier cette nouvelle connaissance, et l'objet-moi s'est enfui juste à temps par la fenêtre.

Ces quelques remarques nous permettront de mieux comprendre la distinction que chacun est bien obligé d'opérer entre les sentiments imaginaires et les sentiments réels que nous éprouvons en rêve. Il est des rêves où l'objet-moi est terrifié et cependant nous ne les appellerons pas des cauchemars, parce que le dormeur, lui, est fort paisible. Il s'est donc borné à doter l'objet-moi des sentiments qu'il devait éprouver pour la vraisemblance même de la situation. Ce sont des sentiments imaginaires, qui ne « prennent » guère plus le dormeur que ce qu'on a coutume d'appeler « abstrait émotionnel ». C'est que le rêve ne motive pas toujours des émotions réelles chez le dormeur; pas plus qu'un roman, même s'il retrace des événements horribles, ne parvient toujours à nous émouvoir. Je puis assister, impassible, aux aventures de l'objet-moi.

Page d'accueil

- +