George Orwell

1984

Angleterre   1949

Genre de texte
roman

Contexte
Ce passage se situe au chapitre 4 de la deuxième section du roman. Winston et Julia viennent de faire l’amour dans leur appartement secret, loué à un vieil antiquaire. Dans une société où l’amour et les secrets sont interdits, Winston et Julia risquent la mort lorsqu’ils se rencontrent à l’appartement. Ils y font l’amour et discutent de leurs projets de révolte contre le Parti. La présence des rats dans la chambre annonce le destin tragique des deux amoureux. Le vieux trahira Julia et Winston, les dénonçant au Parti dont lui-même est membre et pour lequel il joue le rôle d’espion. Ils seront tous deux arrêtés, emprisonnés et torturés pour leur tentative de révolte.

Texte original

Texte témoin
Nineteen eighty-four, New York : Plume, 2003, p. 147-148.

Édition originale
1984, Paris : Gallimard, 1978, p. 206-207. Traduit de l’anglais par Amélie Audiberti.




3e rêve de Winston

Un cauchemar récurrent

— Des rats, murmura Winston. Dans cette chambre!

— Il y en a partout, dit Julia avec indifférence en se recouchant. Nous en avons même dans la cuisine, au foyer. Il y a des parties de Londres où ils fourmillent. Savais-tu qu’ils attaquent les enfants? Dans certaines rues, les femmes n’osent pas laisser un bébé tout seul deux minutes. Ce sont les grands gros bruns. Et l’horrible, c’est que ces sales bêtes, toujours…

— Tais-toi, dit Winston, les yeux étroitement fermés.

— Chéri! Tu es devenu tout pâle! Qu’y a-t-il? Ce sont les rats qui te donnent mal au cœur?

— De toutes les horreurs du monde… un rat!

Elle se pressa contre lui, enroula ses membres autour de lui, comme pour le rassurer avec la chaleur de son corps. Il ne rouvrit pas les yeux immédiatement. Il avait eu, pendant quelques minutes, l’impression de revivre un cauchemar qui, au cours des années, revenait de temps en temps. C’était toujours à peu près le même. Il était debout devant un mur d’ombre, et de l’autre côté de ce mur, il y avait quelque chose d’intolérable, quelque chose de trop horrible pour être affronté. Dans son rêve, son sentiment profond était toujours un sentiment de duperie volontaire, car, en fait, il savait ce qu’il y avait derrière le mur d’ombre. Il aurait même pu, d’un effort mortel, comme s’il arrachait un morceau de son propre cœur, tirer la chose en pleine lumière. Il se réveillait toujours sans avoir découvert ce que c’était. Mais cela se rapportait, d’une manière ou d’une autre, à ce qu’allait dire Julia quand il lui avait coupé la parole.

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