Roger Vailland

Les Mauvais Coups

France   1948

Genre de texte
Roman

Notes
Sur Roger vailland, voir le site roger-vailland.com.

Texte témoin
Les Mauvais Coups, Lausanne, éditions Rencontre, 1967, p. 16-17.




Rêves parallèles

Milan et Roberte

Rêve de Roberte

Ils reprirent le chemin qui traversait le vallon à distance du boqueteau. Milan avait remis le fusil en bandoulière.

— J’ai fait un cauchemar, dit-il. Je me débattais contre un grand oiseau qui tentait de me crever les yeux. Je me suis réveillé en hurlant.

— Je ne t’ai pas entendu, je m’étais endormie trop ivre. Par bonheur. Cette fois, tout de même, tu n’as pas essayé de m’étrangler. Il n’y a pas beaucoup de femmes qui voudraient dormir avec toi…

«… Moi aussi, j’ai fait un cauchemar. Tu étais dans la maison de mon père. Je venais t’y rejoindre. Tu m’as regardée en haussant les sourcils.

— Que viens-tu faire ici ? m’as-tu demandé.

« J’ai eu si peur que je ne pouvais plus bouger.

« Tu as continué :

— J’ai une nouvelle amie. Elle est belle, elle est comme j’aime, je l’aime.

« Tu étais à l’aise, dur, indétournable, comme tout à l’heure quand tu étais tellement décidé à aller à la chasse. Je te déteste. Mais dans mon rêve je ne te détestais même pas. J’aurais voulu crier, mais je ne pouvais pas, tellement mon sang battait fort dans ma gorge.

— Bien sûr, dit Milan.

[Quelques lignes plus loin, le rêve de Milan :]

« Pendant des années, dit Milan, j’ai fait un rêve, toujours le même et qui ressemble au tien comme un frère. J’entrais dans un bar ou une boite de nuit, je t’y trouvais, tu riais avec un homme, tu me le présentais :

Mon nouvel amant, disais-tu.

« Tu le prenais par le bras, vous vous éloigniez et je ne voyais plus que deux ou trois fois ton visage, c’était quand tu te renversais sur son épaule pour rire.

Ce rêve, demanda Roberte, tu ne le fais plus jamais ?

Non, répondit Milan.

Evidemment, dit Roberte.

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