Émile Zola

Au Bonheur des dames

France   1883

Genre de texte
roman

Contexte
Ce rêve se trouve environ au centre du chapitre 13.

Denise est maintenant première au rayon des costumes pour enfants que Mouret a spécialement créé pour elle. Elle voit avec joie, d'un côté, s'agrandir le magasin auquel elle apporte des améliorations et, de l'autre, elle souffre de regarder sa famille et ses amis mourir, complètement ruinés par l'essor des grands magasins. C'est ainsi qu'elle assiste à l'enterrement de sa cousine Geneviève, victime innocente du Bonheur des dames : son fiancé est tombé amoureux de Clara, une vendeuse du rayon de la soie, et a renoncé au mariage pour suivre sa nouvelle flamme. Cette nuit-là, Denise s'endort avec toutes les images du petit commerce en faillite qui lutte toujours mais sans grand espoir de survie. Peu de temps après ce rêve, elle assiste à la tentative de suicide ratée de monsieur Robineau et à la mort de sa tante, madame Baudu.

À remarquer que plusieurs rêveries faites par différents personnages ponctuent ce roman de Zola mais il ne s'agit pas de rêves. C'est pourquoi nous avons seulement conservé cet extrait où la période de réveil est nettement définie.

Notes
Valognes: chef-lieu du canton de la Manche, département de la région de Basse-Normandie. Il s'agit du lieu d'origine de Denise et de ses frères.

Geneviève Baudu est la cousine de Denise et la fille du commerçant Baudu qui se retrouve ruiné par l'expansion du Bonheur des dames. Le fiancé de Geneviève, Colomban, est tombé amoureux d'une vendeuse du magasin et s'est enfui, laissant la jeune femme mourir de chagrin et de jalousie.

Bourras fabrique et vend ses propres parapluies qui sont presque des &oelig:uvres d'art. Il voit également son commerce détruit par le Bonheur des dames. Denise, après s'être fait renvoyer du magasin, est allée séjourner chez lui et y a travaillé un peu.

Vanpouille: les Robineau, les Bédoré et sœur et les Vanpouille sont d'autres commerçants du quartier Saint-Roch qui voient toute leur clientèle les déserter afin d'aller vers les grands magasins.

Le quartier Saint-Roch est celui où tous ces commerçants demeurent. Il se trouve dans le premier arrondissement juste au nord de la Seine.

Texte témoin
Émile Zola, Au Bonheur des dames, Paris, Bibliothèque-Charpentier, 1918, p. 452.

Édition originale
Émile Zola, Les Rougon-Macquart : Au Bonheur des dames, Paris, librairie Charpentier, 1883, 525 p.

Édition critique
Émile Zola, les Rougon-Macquart : Au Bonheur des dames, vol. 3, éd. d'Armand Lan, Paris, Fasquelle et Gallimard (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »), 1964, p. 747.

Émile Zola, Les Rougon-Macquart : Au Bonheur des dames, vol. 3, éd. Colette Becker, Paris, éd. Robert Laffont, 1992, p. 973.

Émile Zola, Au Bonheur des dames, Paris, Presses Pocket, 1990, p. 387.




Le rêve de Denise Baudu

La lutte pour la vie

Cette nuit-là, Denise ne dormit guère. Une insomnie, traversée de cauchemars, la retournait sous la couverture. Il lui semblait qu'elle était toute petite, et elle éclatait en larmes, au fond de leur jardin de Valognes*, en voyant les fauvettes manger les araignées qui elles-mêmes mangeaient les mouches. Était-ce donc vrai, cette nécessité de la mort engraissant le monde, cette lutte pour la vie qui faisait pousser les êtres sur le charnier de l'éternelle destruction ? Ensuite, elle se revoyait devant le caveau où l'on descendait Geneviève*, elle apercevait son oncle et sa tante, seuls au fond de leur salle à manger obscure. Dans le profond silence, un bruit sourd d'écroulement traversait l'air mort : c'était la maison de Bourras* qui s'effondrait, comme minée par les grandes eaux. Le silence recommençait, plus sinistre, et un nouvel écroulement retentissait, puis un autre, puis un autre : les Robineau, les Bédoré et sœur, les Vanpouille*, craquaient et s'écrasaient chacun à son tour, le petit commerce du quartier Saint-Roch* s'en allait sous une pioche invisible, avec de brusques tonnerres de charrettes qu'on décharge. Alors, un chagrin immense l'éveillait en sursaut.

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